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Préparez-vous : L’austérité budgétaire est de retour en Europe
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Rubio, E. 2023. « Préparez-vous : L’austérité budgétaire est de retour en Europe », Blogpost, Paris : Institut Jacques Delors, décembre 2023
Si vous suivez les questions européennes, vous avez sans doute entendu parler de la récente note préparée par la présidence espagnole du Conseil, qui propose des coupes dans le budget à long terme de l’UE pour la période 2021-2027. Cela peut paraître étrange. Le prochain Conseil européen n’est-il pas censé discuter de la «révision à mi-parcours du Cadre Financier Pluriannuel» de la Commission, une proposition visant à augmenter le budget de l’UE ?
Pour comprendre ce qui se passe, il convient de remonter au mois de juin, lorsque la Commission a présenté la proposition de « révision à mi-parcours» en constatant que le budget de l’Union européenne ne suffit pas pour offrir une réponse adéquate aux divers défis, imprévisibles en décembre 2020, au moment de l’adoption du budget à long terme actuel de l’UE. Ce sont notamment la guerre en Ukraine et les crises humanitaire et énergétique et alimentaire qui en découlent mais aussi la forte augmentation des taux d’intérêt sur les marchés internationaux, qui a entraîné des coûts d’emprunt plus élevés que prévu pour le « Next Generation EU » (NGEU), ou la nécessaire réponse européenne à l’« Inflation Reduction Act », un programme d’investissement massif des États-Unis en faveur des technologies vertes.
Dans ce contexte, la Commission a proposé d’augmenter de 66 milliards d’euros les dépenses de l’UE pour la période 2024-2027 : environ un quart de cette augmentation (17 milliards d’euros) est destinée à financer une nouvelle « Facilité pour l’ Ukraine » fournissant un soutien à l’Ukraine au cours des quatre prochaines années (associée à des prêts qui ne sont pas « payés » mais garantis par le budget de l’UE) ; un autre quart est destiné à couvrir les coûts d’emprunt plus élevés que prévu d ’emprunt « Next Generation EU » (19 milliards d’euros). Le reste est destiné à renforcer la lutte contre l’immigration et l’action extérieure (15,5 milliards d’euros) et à financer la plateforme des technologies stratégiques pour l’Europe (STEP), nouvel instrument de l’UE destiné à soutenir les investissements dans les technologies essentielles à l’autonomie stratégique de l’Union (10 milliards d’euros).
Depuis l’annonce faite en juin, les pays dits « frugaux » (Allemagne, Suède, Danemark, Autriche et Pays-Bas) ont clairement exprimé leur opposition à toute augmentation des dépenses de l’UE autre que pour soutenir l’Ukraine. Au cours des derniers mois, ils ont fait circuler des notes internes montrant que les nouveaux besoins de dépenses de l’UE pouvaient être couverts par des redéploiements, c’est-à-dire en réduisant les dépenses de l’UE dans d’autres domaines. Les événements récents (la victoire de Geert Wilders aux Pays-Bas, la crise budgétaire en Allemagne suite à la décision de la Cour constitutionnelle du 15 novembre) ne font que renforcer l’opposition des frugaux à toute augmentation du budget de l’UE.
C’est pourquoi la présidence espagnole du Conseil, agissant en tant que médiatrice, a présenté une proposition de coupes budgétaires. Une note interne envoyée aux délégations nationales esquisse trois scénarios de réduction. Chaque scénario résulte de l’application d’un pourcentage différent de coupes linéaires (3,4 %, 6,8 % et 13,5 %) à tous les programmes du CFP, à l’exception de la PAC et des fonds de cohésion qui sont farouchement défendus par les pays bénéficiaires nets. Les scénarios comprennent également des réductions sur certains programmes qui ont été largement inutilisés (tels que la réserve d’ajustement pour le Brexit). Les trois scénarios aboutissent à des réductions de 8,1 milliards d’euros, 13,1 milliards d’euros et 23,1 milliards d’euros respectivement.
Il est à noter que le scénario le plus ambitieux ne prévoit que 23,1 milliards d’euros d’économies et non 49 milliards d’euros (ce qui résulterait de la déduction des 17 milliards d’euros pour l’Ukraine du montant total de 66 milliards d’euros). Un examen détaillé des propositions incluses dans la révision à mi-parcours de la Commission apporte des explications (voir tableau 1).
La révision à mi-parcours du CFP comporte deux types de propositions de dépenses : les compléments aux programmes existants du CFP et les renforcements et/ou la création d’instruments spéciaux qui sont placés au-delà des plafonds du CFP. Ces deux propositions de dépenses ont des implications très différentes pour les ministres des finances nationaux. Les premières se traduisent par des coûts budgétaires clairs, mesurables et immédiats pour les caisses nationales. Les secondes seront mobilisées en fonction des besoins futurs, qui peuvent être estimés de manière approximative mais ne sont pas connus à l’avance.
Prenons le cas de la Facilité pour l’Ukraine. Le montant annuel déboursé pour soutenir l’Ukraine dépendra des progrès réalisés par le gouvernement ukrainien dans la mise en oeuvre d’un plan de reconstruction. Il en va de même pour l’instrument EURI proposé, qui vise à couvrir les coûts d’emprunt « Next Generation EU » supérieurs à ceux prévus (et déjà provisionnés) dans le CFP. Selon les estimations de la Commission, ces coûts sont estimés dans une fourchette comprise entre 17 et 27 milliards d’euros en fonction des fluctuations des taux d’intérêt.
Ainsi, la logique des réductions proposées est de forcer les redéploiements dans les limites des plafonds du CFP. Dans le cas de STEP, par exemple, la Commission propose de le financer en ajoutant 10 milliards d’euros au budget de l’UE et un montant mineur (2,13 milliards d’euros) provenant de redéploiements et de dégagements. Il est très probable que le Conseil décide de le financer entièrement par des redéploiements et en réutilisant les montants de dégagement d’Horizon Europe.
Cela ne signifie pas que les propositions visant à créer de nouveaux instruments « au-delà du CFP » sont garanties. Alors que nous nous dirigeons vers le Conseil européen de décembre, la Hongrie menace toujours de bloquer toute aide de l’UE à l’Ukraine et certains « frugaux » flirtent avec l’idée de couvrir les coûts d’emprunt supplémentaires du « Next Generation EU » par des redéploiements à partir des programmes existants du CFP.
En conclusion, ces débats et propositions traduisent le retour à la politique budgétaire classique de l’UE :les frugaux plaident pour des coupes, les bénéficiaires nets luttent pour préserver les fonds de cohésion et de la PAC, et à la fin les dépenses non allouées de l’UE sont sacrifiées. Cependant, après la création du « Next Generation EU », les deux crises majeures qu’ont été le Covid et la guerre en Ukraine et dans un nouveau contexte géopolitique forçant l’UE à prendre un virage plus stratégique, il est très inquiétant de voir que nous pourrions entrer dans une nouvelle ère d’austérité budgétaire de l’UE.
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