Réaction de Paul Magnette au texte d’Andrew Moravcsik

Les lecteurs assidus d’Andrew Moravcsik reconnaîtront ici les qualités qui ont fait la réputation de ses écrits : un argument dense, construit de manière systématique, et polémique dans le sens le plus noble du terme. Ils retrouveront aussi quelques-unes des thèses avancées par l’auteur dans ses publications antérieures les plus fameuses : l’Union européenne n’est pas un Etat fédéral en devenir, le status quo est plus solide et plus rationnel qu’il y paraît de prime abord, et le déficit démocratique est un mythe. Moravcsik condense et prolonge à la fois ces thèses, selon la méthode schumpeterienne qui lui est familière : déceler une conviction ayant acquis dans la littérature le statut d’un quasi-axiome, et la démonter en usant des ressources les plus robustes des sciences sociales contemporaines.
Contester une telle argumentation relève de la gageure : la rigueur de la démonstration laisse peu de place à l’objection. Je voudrais néanmoins apporter quatre nuances.
L’argument selon lequel les citoyens ne s’intéressent pas aux questions européennes parce qu’elles ne relèvent pas de ce qu’ils considèrent comme les principales « salient issues » est trop mécanique. S’il est vrai que les compétences de l’UE se concentrent dans des domaines qui ne figurent pas parmi les priorités des citoyens, tandis que les questions politiques les plus sensibles relèvent essentiellement des compétences nationales, la délimitation est, dans les faits, plus complexe. La fiscalité et le droit social sont, certes, des compétences presqu’exclusivement nationales, mais cela n’empêche qu’une large part des opinions perçoit l’UE comme une organisation qui, en mettant les régimes fiscaux et sociaux en concurrence, agit sur les règles nationales. Que l’effet européen soit moindre dans les faits qu’il ne l’est dans les discours politiques ne change rien au fait qu’il existe bel et bien, et qu’il constitue un « fait social » que l’analyste ne peut pas ignorer. La politisation repose toujours, en partie au moins, sur une perception erronée des enjeux : en produisant des erreurs de perspective, l’UE produit de la politisation, fut-elle négative. Par ailleurs, l’agenda législatif européen des derniers mois a montré que des textes européens peuvent faire l’objet d’une mobilisation politique vaste – bien au-delà des microcosmes concernés – lorsqu’ils affectent des régimes nationaux bien établis (voir les débats sur la directive Bolkestein, mais aussi sur la libéralisation des services postaux ou portuaires, sur la durée hebdomadaire du travail…).