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Réunification, élargissement et approfondissement

Intervention de Jacques Delors lors du débat organisé par Europartenaires, le 13 janvier 2000.

Alors qu’il est très difficile d’intéresser les opinions publiques au fonctionnement quotidien de la construction européenne, voire même aux grandes questions qu’elle pose, on a pu observer, à la suite du Conseil Européen d’Helsinki, un regain d’intérêt pour les questions européennes. Un peu comme cela s’était produit au lendemain de la chute du Mur de Berlin. Journalistes, intellectuels, hommes politiques se sont penchés sur la question – l’Europe jusqu’où ? – et le président de la Commission Romano Prodi a demandé un débat sur les frontières de l’Europe. Débat – disons le tout de suite – d’une extraordinaire difficulté car, sur ce sujet, les paramètres historiques et géographiques ne fournissent ni certitudes ni même arguments solides. l’autre volet du problème – l’Europe à 30 sera telle toujours l’Europe ?-ne laisse pas d’être lui aussi perturbant pour les raisons déjà indiquées par Jean-Noël Jeanneney ce matin, aussi bien que par Elisabeth Guigou.

Mais n’abordons pas la question sans bien voir la toile de fond, C’est-à -dire l’état de l’Union. La construction européenne ayant commencé par l’économie pour les raisons que vous savez, l’engrenage, qui est un élément de la méthode communautaire, a joué à plein jusqu’à l’acceptation, puis à la mise en oeuvre de l’Union économique et monétaire. La réussite de celle-ci n’en est pas pour autant assurée – ne l’oublions pas – et rappelons-nous que les responsables politiques ont l’habitude, une fois la décision prise, de ne pas suivre avec le même intérêt les modalités d’application.
 

Cette Union économique et monétaire il faut donc encore la réussir et bien voir que ceux qui pensaient qu’elle serait non seulement le couronnement de 45 ans d’effort d’intégration économique, mais également la rampe de lancement de l’Europe politique, ceux-là se sont trompés par excès de confiance dans la méthode communautaire.

En ce qui concerne les affaires étrangères et la défense, l’effet d’annonce du Traité de Maastricht a été trop fort et les corrections secondaires du Traité d’Amsterdam n’ont pas empêché la stagnation. Le Conseil européen parle d’actions communes, non sans emphase et il produit des textes de 20 à 30 pages, sur l’action commune avec la Russie par exemple, présentés de telle façon qu’ils sont indéchiffrables pour les citoyens et inutilisables pour les diplomates ou pour les autres professionnels qui devraient s’y référer.
 

Dans ce domaine, notons cependant l’apparition d’une lumière nouvelle avec la décision prise à Helsinki de mettre en oeuvre une force dite « de projection » née des enseignements que l’on a tirés des crises dans l’ex Yougoslavie. A propos de cette initiative anglaise autant que française, notons aussi que, dans le kriegspiel européen, Tony Blair a réussi, contrairement à John Major et quelles que soient ses difficultés par ailleurs, à se glisser au coeur de l’Europe. Vous remarquerez également que nous avons décidé de cette force de protection sans parler de défense commune et sans soulever la question qui fâche, celle des relations fondamentales avec l’Alliance atlantique. Cette percée, qui rappelle un peu celle d’Eureka en 1985 à l’instigation de la France, doit être suivie et doit nous servir à nuancer l’impression que pourrait donner un tableau trop pessimiste.

 

Notons enfin, pour les affaires intérieures et de sécurité, que le Traité d’Amsterdam a fait l’hommage du vice à la vertu, en décidant de réintégrer une partie de ces problèmes dans la méthode dite « communautaire », et saluons les efforts d’Elisabeth Guigou pour faire avancer, parfois dans l’indifférence de ses collègues, des dossiers compliqués mais dont l’intérêt pour les citoyens est indiscutable car, avec le chômage, la sécurité est la question qui les préoccupe le plus.

 

C’est donc sur cette toile de fond qu’il faut raisonner en ce qui concerne le mouvement qui nous amène à l’élargissement et qui donne l’impression d’être guidé par un animal sans tête. Pour ce faire, je m’attacherai à deux points essentiels :

 

1 – La réunification de l’Europe est notre mission historique : ce n’est pas simplement un objectif incontournable, mais un devoir à remplir au regard de l’histoire.

 

2 – Contrairement à ce que certains prétendent, la contradiction entre élargissement et approfondissement est une dure réalité que l’on ne peut pas évacuer. Plusieurs épisodes de la construction européenne en font foi.