Surmonter l’inertie au Kosovo
Publication coordonnée par Carnegie
Par Dimitar Bechev, Iliriana Gjoni, Lukáš Macek, Milan Nič, Nikola Xaviereff, and Wouter Zweers

Ces derniers temps, le Kosovo a cessé de faire l’objet de titres anxieux dans les médias internationaux. La situation à l’intérieur et autour de ce pays des Balkans occidentaux semble stable. Après un violent affrontement dans le village de Banjska, au nord du pays, en septembre 2023, les tensions avec la Serbie ont baissé d’un cran. Ces dernières semaines, le Kosovo a été reconnu comme un État indépendant par deux autres pays : le Kenya et le Soudan. L’économie du Kosovo est en pleine croissance. Selon le Fonds monétaire international, le PIB du pays a augmenté de 4 % en 2023 et de 4,4 % en 2024.
L’état de la politique intérieure semble également satisfaisant. Fait sans précédent, le parlement élu en 2021 est allé jusqu’à la fin de son mandat. À l’heure où la région des Balkans occidentaux connaît des dérives autoritaires, la politique kosovare reste démocratique et fortement compétitive. Le parti au pouvoir, Vetëvendosje (VV), a remporté les élections législatives de février 2025, tout en perdant des sièges au profit de l’opposition et sans atteindre la majorité.
Pourtant, l’autosatisfaction n’est pas de mise, car le Kosovo reste confronté à des défis de taille. Sa route vers l’adhésion à l’UE est de facto bloquée. Avant que Pristina n’aille de l’avant, Bruxelles aimerait voir au moins un début de progrès sur la mise en place par le Kosovo de l’Association des municipalités serbes (ASM), un organisme prévu pour regrouper les entités à majorité serbe et leur accorder un certain niveau d’autonomie. Mais le dialogue avec la Serbie est au point mort. La pleine normalisation des relations et la reconnaissance de facto du Kosovo par Belgrade restent hors d’atteinte.
Entre-temps, des incertitudes planent sur la vie politique à Pristina. À la suite des élections aux résultats indécis, il se pourrait que ni le VV ni ses rivaux de l’opposition divisée ne soient en mesure de former un gouvernement désireux ou capable de nouer le dialogue avec la communauté serbe. Le changement radical de la politique étrangère des États-Unis et la discorde qui en résulte au sein de l’alliance occidentale exacerbent les risques géopolitiques pour le Kosovo et la région.
L’inertie actuelle dans les relations entre le Kosovo et l’UE est préjudiciable à toutes les parties. Pour sortir de l’impasse, l’UE doit agir rapidement et de manière décisive. La Commission européenne devrait adopter une approche plus affirmée vis-à-vis des États membres de l’UE en ce qui concerne une levée progressive des mesures punitives imposées à Pristina en 2023. La Commission devrait également prendre des mesures qui pourraient contribuer à accorder au Kosovo le statut de pays candidat dans un avenir proche.
De son côté, le prochain gouvernement du Kosovo devrait prendre les premières mesures pour établir l’ASM afin de regagner la confiance de Bruxelles. Le gouvernement devrait également saisir les opportunités économiques offertes par le plan de croissance de l’UE pour les Balkans occidentaux afin de rattraper le reste de la région. Même si la formation d’une coalition s’avère impossible, les partis au sein du parlement nouvellement élu pourraient s’unir autour d’un agenda européen commun. Le Kosovo devrait envisager des partenariats bilatéraux en matière de sécurité avec des pays européens clés, y compris le Royaume-Uni, afin de garantir la stabilité régionale à un moment où un retrait des États-Unis pourrait être envisagé.
Evolutions de la politique intérieure
La scène politique au Kosovo reste fragmentée. Si le Premier ministre Albin Kurti et son VV continuent de bénéficier d’un soutien substantiel, leur attrait est en recul. Les élections générales du 9 février 2025 – les sixièmes depuis l’indépendance du pays – ont abouti à un résultat peu concluant (voir tableau 1).
Une majorité viable de 61 sièges à l’Assemblée, qui en compte 120, n’est toujours pas en vue, bien que plusieurs scénarios sont envisageables.
Tout d’abord, les quarante-huit députés du VV pourraient former une coalition avec des députés issus de minorités ethniques, dont le représentant serbe Nenad Rašić. Toutefois, il manquerait encore trois députés à ce bloc pour obtenir la majorité.
Une coalition alternative, constituée autour du Parti démocratique du Kosovo (PDK), dirigé par Memli Krasniqi, et de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), est en principe possible. Cette coalition compterait 52 députés et pourrait compter sur un soutien suffisant parmi les 20 sièges des minorités ethniques. Le PDK pourrait également obtenir le soutien de la Liste serbe (SL), un parti soutenu par Belgrade et qui a remporté une grande majorité des voix des Serbes ethniques. Toutefois, les négociations se heurtent à l’insistance de la LDK pour que le premier ministre soit issu de ses rangs. De plus, le parti est déchiré par des désaccords internes.
Une troisième option, celle d’une large alliance traversant l’échiquier politique, pourrait être souhaitable mais n’est pas réaliste. L’opposition considère Kurti comme une figure clivante et comme un handicap pour le Kosovo dans ses relations avec les Occidentaux.
Une quatrième possibilité serait d’organiser des élections anticipées, si l’Assemblée nouvellement élue ne parvient pas à se mettre d’accord sur le nom d’un président du Parlement ou bien à former une majorité viable qui serait en mesure de légiférer.
Si les partis politiques arrivent à faire élire au parlement son président et ses vice-présidents, ce serait un premier signe portant à croire qu’ils pourraient trouver un compromis sur la mise en place d’une coalition gouvernementale. Mais jusqu’à présent, toutes les tentatives ont échoué.
Les élections municipales d’octobre 2025 et le vote du parlement pour désigner le nouveau Président de la République, prévu en février ou mars 2026, avant la fin du mandat de l’actuelle Présidente Vjosa Osmani, influencent les calculs de VV et de ses rivaux. Si le parlement ne parvient pas à élire un chef d’État – scénario probable, étant donné l’absence de majorité claire à l’Assemblée – des élections législatives anticipées seront organisées au printemps 2026. La durée potentiellement courte du mandat du prochain gouvernement est une des raisons qui incitent les partis politiques kosovars à garder plusieurs options ouvertes. Il est possible que l’opposition, bien qu’elle affirme être prête à prendre les rênes du pays, préfère s’abstenir pour les douze mois à venir.
Dans un tel scénario, Kurti resterait à la tête du pays en tant que premier ministre intérimaire ou à la tête d’une coalition faible. Le VV pourrait réaliser des gains grâce à son maintien au pouvoir, par exemple lors des élections locales d’octobre. Cependant, si le pays reste dirigé par une administration intérimaire, la lutte pour le pouvoir continuerait à faire rage, avec des conséquences néfastes pour l’agenda politique. Le gouvernement n’aurait ni un mandat solide, ni la volonté d’avancer sur des priorités clés, notamment les réformes économiques, le dialogue avec la Serbie et l’ASM, la situation dans la région à majorité serbe du Nord du Kosovo ou l’intégration à l’UE. Il existe un risque réel qu’une année supplémentaire soit gaspillée à un moment critique pour la sécurité européenne, face aux changements profonds de la politique internationale.
Le non-dialogue Kosovo-Serbie
Sous la pression de l’UE, le Kosovo et la Serbie ont enregistré quelques progrès, en 2022-2023, vers un rapprochement. Pourtant, l‘accord visant à normaliser les relations diplomatiques – de 2023, facilité par le représentant spécial de l’UE de l’époque, Miroslav Lajčák, et approuvé par Albin Kurti et le président serbe Aleksandar Vučić à Ohrid, en Macédoine du Nord – n’a toujours été ni signé, ni mis en œuvre. Les deux parties s’opposent sur l’interprétation de l’accord et sur l’ordre dans lequel les mesures qu’il prévoit devraient être mises en oeuvre.
Les Kosovars soupçonnent Vučić d’être de mauvaise foi en visant à arracher des concessions, telles que l’ASM, sans avancer en contrepartie avec la reconnaissance de facto du Kosovo. Ils affirment que le conflit violent à Banjska en 2023 et la proximité avec Belgrade de Milan Radoičić, le caïd-politicien responsable de l’incident, prouvent que le président serbe continue de poursuivre l’objectif d’une partition plutôt que la mise en œuvre de l’accord d’Ohrid. Kurti, quant à lui, désigne du doigt la politique de la Serbie pour justifier son refus de faire un geste positif au sujet de l’ASM. Il s’agit notamment de soumettre le projet de statut de l’association à l’approbation de la Cour constitutionnelle du Kosovo, conformément aux demandes de l’UE.
La Serbie insiste sur le fait que le Kosovo a l’obligation de mettre en œuvre l’ASM, un engagement qui remonte à l’accord de Bruxelles de 2013 négocié par Catherine Ashton, responsable de la politique étrangère de l’UE à l’époque.
Entre-temps, le nord du Kosovo a connu des changements substantiels. Le boycott des institutions kosovares, ainsi que des élections, par les Serbes, depuis novembre 2022 ont permis à Kurti d’installer trois maires d’origine albanaise et un maire bosniaque dans les quatre municipalités majoritairement serbes situées au nord de la rivière Ibar : Mitrovica Nord, Leposavić, Zvečan et Zubin Potok. L’attaque de Banjska a légitimé la présence régulière d’unités de police spéciale kosovares dans la région, ce qui a donné lieu à de multiples incidents isolés avec la communauté locale.
Le recours à la force par le Kosovo et les mesures unilatérales prises par la suite dans les municipalités du nord ont été critiqués à maintes reprises par l’UE et les États-Unis. Kurti revendique le mérite d’avoir rétabli l’État de droit et d’avoir refoulé vers la Serbie des réseaux criminels établis de longue date. Néanmoins cette situation prendra fin avec les élections locales d’octobre, car la communauté des Serbes ethniques a l’intention de participer cette fois-ci et d’élire ses propres maires.
Les militants de la société civile dans le Nord – et certains politiciens de l’opposition à Pristina – ont un point de vue différent de celui de Kurti et son VV. Ils critiquent vivement Vučić, ses alliés de la Liste serbe et des personnages comme Radoičić. Dans le même temps, la société civile et les Serbes kosovars déplorent les méthodes musclées de Pristina, en particulier le harcèlement policier présumé.
L’année dernière, Pristina a interdit l’utilisation du dinar serbe au nom de l’affirmation de la souveraineté du Kosovo. Cependant, la manière dont le gouvernement kosovar a cherché à faire respecter cette interdiction a suscité des protestations, y compris de la part de l’Union européenne, bien que celle-ci soutienne en principe l’utilisation d’une monnaie unique sur l’ensemble du territoire kosovar.
Dans l’ensemble, il semble que le sentiment d’insécurité grandisse dans le nord du Kosovo. Seule une action proactive de la part du gouvernement de Pristina permettra de résoudre la situation. Le PDK et l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), un autre parti d’opposition, saisissent cette tension, fustigent Kurti et promettent de s’engager auprès de la communauté de Serbes ethniques. Toutefois, ils doivent d’abord être en mesure de former une coalition gouvernementale.
L’opposition kosovare cherche clairement à marquer des points auprès de l’UE – et de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, en particulier. En mai 2024, les dirigeants des trois pays ont envoyé une lettre à Kurti l’exhortant à aller de l’avant avec le projet de statut de l’ASM, qui avait été proposé par Lajčák. Le fait que le gouvernement kosovar n’ait pas soumis le statut à la Cour constitutionnelle a tendu les relations avec l’UE. L’opposition semble ambivalente face à cette décision. Le PDK s’oppose, du moins officiellement, à ce que le projet de statut soit soumis à la Cour. Cependant, le parti critique la manière dont le gouvernement a traité la question. En revanche, l’AAK est en faveur de cette saisine. Tous les partis d’opposition déplorent l’intransigeance de Kurti et sa collision frontale avec les gouvernements occidentaux qui ont historiquement soutenu le Kosovo.
La situation en Serbie n’est hélas pas non plus de bon augure pour les pourparlers sur la normalisation. Auparavant, Vučić utilisait l’instabilité politique à Pristina comme excuse pour ne pas engager le dialogue. Mais aujourd’hui, les rôles sont inversés. Une crise politique en Serbie, où des manifestations de masse menées par des étudiants défient le président et son Parti progressiste serbe (SNS), a détourné l’attention du Kosovo. Certains craignent que Vučić ne provoque un nouvel incident semblable à celui de Banjska dans le nord du Kosovo, alors qu’il lutte pour sa survie politique. Cependant, il est nettement plus probable qu’il ne dispose pas actuellement de la latitude suffisante pour traiter le Kosovo de manière positive ou négative. Il se concentre sur son avenir politique à l’intérieur du pays, les affaires étrangères étant reléguées au second plan.
Le problème du Kosovo avec l’UE
Bien que le gouvernement intérimaire du Kosovo semble le nier, le pays se retrouve face à un problème avec l’Union européenne.
Tout d’abord, le processus d’adhésion à l’UE reste bloqué. Du côté de cette dernière, la demande d’adhésion du Kosovo n’a pas progressé depuis décembre 2022. Du côté du Kosovo, les réformes démocratiques et économiques exigées par l’UE ne se mettent en place que lentement. Alors que tous les partis politiques kosovars se rallient nominalement à l’intégration à l’UE en tant qu’objectif stratégique, les progrès réels en matière de réformes ont été les victimes des querelles entre partis politiques. Qui plus est, les défis inhérents à la difficile formation d’une coalition gouvernementale, les relations interethniques tendues, la stagnation du dialogue avec la Serbie et les mesures punitives de l’UE laissent peu de place aux réformes des institutions ou des politiques publiques.
Un autre problème est qu’aucun progrès n’a été réalisé avec les cinq États membres de l’UE qui n’ont pas reconnu l’indépendance du Kosovo : Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie. Or des avancées sur ce point sont importantes car, en fin de compte, les ambitions européennes de Pristina dépendent de son acceptation par les vingt-sept pays du club.
Les restrictions imposées par l’UE au Kosovo constituent un obstacle supplémentaire. Les mesures a priori réversibles et temporaires imposées par l’Union en juin 2023 à la suite de l’escalade dans le nord du Kosovo sont toujours en vigueur, même si Josep Borrell, alors chef de la politique étrangère de l’UE, a recommandé leur suppression en juin 2024. Ces mesures comprennent la suspension des visites et des contacts de haut niveau, ainsi que des projets au titre du Cadre d’investissement pour les Balkans occidentaux (WBIF) et des projets techniques au titre de l’Instrument d’aide de préadhésion (IPA) pour soutenir l’alignement du Kosovo sur les standards de l’UE. Par exemple, la Haute représentante de l’UE pour la politique étrangère, Kaja Kallas, ne s’est pas arrêtée à Pristina lors de sa tournée dans les Balkans occidentaux en avril 2025.
Cette situation a fourni au gouvernement kosovar un prétexte : il impute les mesures de l’UE aux dysfonctionnements internes de l’Union, affirmant qu’il incombe aux vingt-sept États membres de régler un problème politique qu’ils ont eux-mêmes créé. Il s’agit d’une ligne dangereuse, car elle risque de prolonger l’incertitude au lieu de la lever.
Pendant ce temps, la France et l’Allemagne bloquent l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe, qui nécessite une décision positive du Comité des ministres de l’organisation. Le principal obstacle réside dans le fait que Pristina n’a pas soumis le projet de statut de l’ASM à la Cour constitutionnelle, ce qui continue également à entraver les progrès du Kosovo vers l’adhésion à l’UE. La France est le principal obstacle et a précisé ses conditions dans une lettre officielle adressée au gouvernement kosovar. Berlin semble adopter une position un peu plus souple, mais ne veut pas mettre en péril son approche commune avec Paris.
Malgré ces difficultés, il y a quelques signes d’espoir.
Les États membres de l’UE sont d’accord sur le principe d’une levée, au moins progressive, de ces mesures. Des entretiens à huis clos avec des diplomates à Pristina indiquent que l’Union est disposée à le faire. Ce qui reste flou, c’est l’ordre des étapes et les conditions attachées à chacune d’entre elles. Il y a également un aspect juridique : une décision unanime du Conseil de l’UE est nécessaire pour aller de l’avant. Les États membres ne sont pas unanimes quant au moment et à la manière de prendre une telle décision. Toutefois, la Commission européenne dispose d’une marge de manœuvre. Si elle adopte une approche plus souple à l’égard des mesures, par exemple en autorisant certaines réunions officielles avec des représentants kosovars, elle pourrait de facto les vider de leur substance.
Le dialogue entre le Kosovo et la Serbie pourrait également connaître un nouvel élan. La nomination en janvier 2025 du successeur de Lajčák au poste de représentant spécial de l’UE, Peter Sørensen, a été saluée par tout le monde. Il est important de noter que le mandat de Sørensen est plus restreint que celui de Lajčák et ne couvre que ce dialogue bilatéral, pas des questions régionales plus larges.
Lors de ses premières visites au Kosovo et en Serbie, en mars 2025, le nouvel envoyé spécial a indiqué que sa priorité était de relancer le processus en se concentrant sur les étapes techniques, telles que la coopération pour retrouver les personnes disparues lors du conflit entre le Kosovo et la Serbie à la fin des années 1990.
Pour le Kosovo, le fait que le haut représentant de l’UE et l’envoyé spécial de l’UE ne soient plus des ressortissants d’États membres qui ne le reconnaissent pas – alors que M. Borrell est espagnol et que M. Lajčák slovaque – marque un changement positif qui pourrait contribuer à donner un nouvel élan aux liens entre le pays et l’UE.
À l’heure actuelle, le Service européen pour l’action extérieure semble être en train de faire le point, en analysant ce qui a mal ou bien fonctionné dans le passé. L’approche incrémentale privilégiée par M. Sørensen présente des avantages et des inconvénients. La recherche de gains rapides peut insuffler du dynamisme, mais elle détournera aussi l’attention du but suprême : finaliser le grand « deal » politique conclu par les deux parties dans l’accord de Bruxelles de 2013 et l’accord d’Ohrid de 2023. Le Kosovo et la Serbie continueront à se renvoyer la balle et à se pointer du doigt.
Le facteur Trump
Le sujet tabou est la dimension transatlantique. La normalisation entre le Kosovo et la Serbie a progressé lorsque l’UE et les États-Unis ont agi à l’unisson. Si l’administration du président américain Donald Trump adopte une attitude différente de celle de Bruxelles, comme elle l’a fait en 2019-2020, il y aura des retombées négatives non seulement pour le Kosovo, mais aussi pour l’ensemble des Balkans occidentaux.
À Pristina, on craint que les membres du mouvement MAGA ne considèrent le Kosovo comme faisant partie de l’ère interventionniste libérale des États-Unis, à laquelle ils se sont engagés à mettre fin. La relation spéciale entre le Kosovo et les États-Unis pourrait en souffrir. Les liens de Vučić avec l’entourage de Trump sont également perçus par les Kosovars comme un défi.
Le scénario le plus pessimiste implique un retrait des États-Unis de la Force pour le Kosovo (KFOR) dirigée par l’OTAN. Une précédente proposition controversée d’échange de territoires entre le Kosovo et la Serbie pourrait également revenir, ce qui aggraverait le fossé entre l’administration Trump et l’Europe. Être contraint de choisir entre l’Europe et les États-Unis est une situation que les politiciens kosovars préfèrent ne pas envisager. « On ne peut pas choisir entre son père et sa mère », ont déclaré deux d’entre eux à huis clos.
Toutefois, pour l’instant, les États-Unis n’ont pas changé radicalement de politique. Si le Kosovo n’attire pas l’attention de Donald Trump et reste du ressort du département d’État américain , il n’y aura peut-être pas de changements significatifs à l’avenir. Quoi qu’il en soit, il est difficile de juger de l’évolution de l’approche américaine avant l’arrivée des nouveaux ambassadeurs à Pristina et à Belgrade.
En outre, le Kosovo semble explorer des options. Un protocole d’accord sur la coopération en matière de sécurité et de défense avec la Croatie et l’Albanie a récemment fait la une des journaux après que la Serbie l’a présenté – de manière assez prévisible – comme une démarche hostile.
La voie pour avancer
L’inertie de la politique intérieure du Kosovo, du dialogue Belgrade-Pristina et de la politique de l’UE comporte des risques à long terme. L’Europe se trouve à un tournant critique et la stabilité des Balkans occidentaux risque de devenir un dommage collatéral de cette situation. Le gouvernement kosovar et l’UE doivent agir. Sept priorités se dégagent.
Premièrement, l’UE devrait proposer une feuille de route détaillée pour la levée des mesures punitives.
Deuxièmement, la Commission européenne devrait prendre l’initiative, idéalement par le biais d’une stratégie élaborée conjointement par Kaja Kallas et la commissaire européenne en charge de l’élargissement, Marta Kos. Le blocage actuel est exacerbé par le fait que chaque acteur a tendance à attendre que l’autre agisse en premier. Cette impasse semble se reproduire au sein des institutions européennes, la Commission se cachant derrière le Conseil de l’UE. Une stratégie plus proactive devrait établir une synergie positive entre le dialogue Kosovo-Serbie et le processus d’adhésion à l’UE, ce qui rassurerait tous les acteurs et les inciterait à sortir de l’impasse. Par exemple, l’ASM pourrait être liée aux progrès réalisés par Pristina sur la voie de l’adhésion. Même les pays de l’UE qui ne reconnaissent pas le Kosovo auraient du mal à s’opposer à de telles mesures.
Troisièmement, pour donner plus de crédibilité à l’influence de l’UE en direction de Pristina et de Belgrade, l’Union devrait organiser un dialogue avec ses cinq États membres qui ne reconnaissent pas le Kosovo. Cela ouvrirait la voie à une reconnaissance progressive – au moins de facto – du Kosovo, liée à des progrès dans les pourparlers entre le Kosovo et la Serbie.
Quatrièmement, le nouveau parlement kosovar devrait, de toute urgence, ratifier les deux accords en cours qui permettraient au pays de participer au Plan de croissance pour les Balkans occidentaux lancé par l’UE. Cela débloquerait l’inclusion du Kosovo dans diverses plates-formes pour l’intégration progressive du pays dans l’Union et son marché unique. L’Espace unique de paiement en euros (SEPA), qui vise à simplifier les transferts bancaires libellés en euros, en est un exemple. Le Kosovo pourrait accélérer ses efforts pour rejoindre cet espace, à l’instar de la Macédoine du Nord et de la Moldavie, qui y ont adhéré en mars. L’intégration dans l’agenda vert de l’UE est une autre priorité, même si cet objectif pourrait être menacé par la politique de la nouvelle administration américaine en matière de changement climatique. Les États-Unis feront probablement pression sur le Kosovo à la fois pour qu’il retarde son projet d’abandon progressif du lignite et pour qu’il opte pour son remplacement par le gaz naturel.
Cinquièmement, le gouvernement du Kosovo doit se montrer proactif au sujet de l’ASM. Au lieu de refuser catégoriquement d’affronter la question du projet de statut pour cette Association, Pristina devrait engager un dialogue avec l’Union et les principaux États membres, notamment la France et l’Allemagne. Le gouvernement pourrait envisager différentes actions, comme soumettre le projet existant à la Cour constitutionnelle ou rédiger, de bonne foi, une alternative crédible. La seule option qui semble ne mener nulle part est le refus obstiné de sortir de l’impasse actuelle.
Sixièmement, les autorités kosovares devraient s’engager davantage et plus sincèrement auprès de la société civile du nord du Kosovo. Les élections locales d’octobre 2025 et le retour attendu des maires serbes constituent une opportunité. Pristina devrait élaborer une stratégie crédible et globale, fondée sur des mesures symboliques, politiques et économiques significatives et bénéficiant d’un solide soutien du côté de la majorité albanaise, tous partis confondus, en vue de l’intégration des Serbes kosovars. Cette stratégie ouvrirait la voie à un processus à long terme d’acceptation par les Serbes du Kosovo de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’un Kosovo multiethnique. La société civile serbe kosovare devrait montrer qu’elle est prête à s’engager dans un tel processus si le gouvernement prend des mesures crédibles.
Enfin, le Kosovo et les Balkans occidentaux dans leur ensemble devraient être proactifs dans les discussions sur la sécurité et la défense en Europe. La région devrait proposer des idées sur la manière dont elle pourrait contribuer à l’effort commun pour contenir la Russie, renforcer la résilience et développer la capacité industrielle de défense. Pristina devrait investir dans des partenariats bilatéraux avec des pays de l’OTAN amicaux, tels que le Royaume-Uni et la Turquie, afin de préserver la stabilité et la sécurité.
L’ensemble de ces mesures contribuerait à faire progresser le Kosovo et par conséquent à renforcer la crédibilité de l’UE en tant qu’acteur de la sécurité.
Cet article présente les principales conclusions d’une mission d’enquête menée à Pristina et Mitrovica du 25 au 28 mars 2025 par des experts de quatre groupes de réflexion européens, à savoir Carnegie Europe, Clingendael, le Conseil allemand des relations extérieures (DGAP) et l’Institut Jacques Delors : Carnegie Europe, Clingendael, le Conseil allemand des relations extérieures (DGAP) et l’Institut Jacques Delors. La mission était co-organisée par Carnegie Europe et Leon Malazogu du think tank local Democracy for Development Institute (D4D).
- Dimitar Bechev est chercheur principal à Carnegie Europe, où il se concentre sur l’élargissement de l’UE, les Balkans occidentaux et l’Europe de l’Est.
- Milan Nič est chargé de recherche senior à la DGAP, où il s’occupe des politiques européennes, de l’Allemagne, de l’Europe centrale et orientale et des Balkans occidentaux.
- Lukáš Macek est directeur du Centre Grande Europe et chercheur en charge de l’Europe centrale et orientale à l’Institut Jacques Delors.
- Nikola Xaviereff est chef de projet pour les Balkans occidentaux à la DGAP.
- Wouter Zweers est chercheur à l’Institut néerlandais des relations internationales de Clingendael, où il se spécialise dans les politiques extérieures de l’UE.
- Iliriana Gjoni est analyste de recherche à Carnegie Europe, où elle se concentre sur l’élargissement de l’UE et la politique des Balkans occidentaux.