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Suspendre les préférences commerciales au retour des migrants
Une erreur géopolitique, un non-sens pour le développement
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Citer cet article:
Hassel A., Lamy P., Pons G. & Vignon J. 2022. «Suspendre les préférences commerciales au retour des migrants», Blogpost, Paris: Institut Jacques Delors, 22 avril.
Les hasards du calendrier législatif européen ont fait que vient en débat entre les institutions de l’UE l’adoption d’un règlement sur la réforme décennale du Système européen des préférences généralisées[1] (SPG)[2], instrument emblématique de la relation entre l’Union et les 70 pays les plus pauvres de la planète, dont une majorité de pays africains, au moment où le vote des Nations unies sur la crise ukrainienne révèle les doutes de ces mêmes pays à l’égard de l’Occident et de l’Europe en particulier. Il convient donc de prêter la plus grande attention aux changements que le nouveau régime proposé par la Commission en septembre 2021 est susceptible d’apporter dans la qualité des relations entre l’Union européenne et ces « pays les moins avancés ».
La philosophie d’ensemble du réajustement du SPG paraît raisonnable. Elle s’inscrit dans la continuité des évolutions observées depuis des décennies : confirmation d’un dispositif en trois régimes dont le plus favorable (« Tout sauf les armes ») est particulièrement avantageux aux pays qui connaissent les plus grandes difficultés ; incitations accrues pour les pays qui « décollent » à se conformer aux conventions internationales pour le développement durable, les droits humains fondamentaux et la bonne gouvernance ; meilleure vérification du respect de ces conventions. En revanche, on doit s’étonner de voir, pour la première fois, inscrites dans les conditions suspensives de l’accès aux SPG le respect de la politique migratoire de l’Union européenne. S’il est compréhensible que l’UE renforce progressivement ses exigences environnementales et en matière de droits de l’Homme car elles sont liées à la production des biens échangés avec l’UE, il n’en va pas de même pour la circulation des populations entre ces mêmes pays et l’Europe.
Concrètement l’article 19 du projet de règlement prévoit la possibilité du retrait temporaire du bénéfice du SPG pour les Etats qui n’auraient pas consentis à la ré-admission de leurs ressortissants assignés par un Etat membre de l’UE à une obligation de retour [3]. Ce qui peut paraître comme une mesure de protection légitime des intérêts européens ne l’est pas en réalité. Ce genre de disposition illustre au contraire l’ambigüité du protectionnisme migratoire européen auquel incitent les gouvernements et partis populistes : sous l’apparence de la justice, ils font en réalité échec aux tentatives d’organiser les flux migratoires et tendent à perpétrer le malheur tant pour les pays de départ que pour les peuples européens.
Sur le plan des principes, la conditionnalité SPG imaginée par la Commission pour faire pression sur les retours ne tient pas. Le SPG et tout spécialement le régime TSA[4] ont été conçus dans le contexte d’un système mondial universel et multilatéral d’organisation du commerce mondial : il y va de la gestion collective d’un bien commun, le développement des échanges commerciaux. En revanche, la politique migratoire de l’Union européenne ne s’inscrit pas dans un cadre multilatéral. Le caractère unilatéral de la politique migratoire de l’UE est dénoncé de longue date par les pays pauvres, notamment africains, qui lui reprochent d’être conçue dans le seul intérêt des pays de destination, contrairement aux principes mutualistes affichés.
De même, puisque l’objet et bien souvent l’effet des SPG consistent à favoriser le développement des pays pauvres en facilitant leur intégration progressive dans le commerce mondial, les pays que voudra pénaliser la sortie du TSA verront leur développement encore freiné au bénéfice des « bons élèves » ce qui accroitra encore la motivation des candidats au départ via l’immigration irrégulière. On songe par exemple au Mali, aux deux Guinées, au Sénégal, ou encore à l’Afghanistan, pays réputés peu coopératifs aujourd’hui en matière de retour. Les pratiques nord-américaines en matière d’aide au développement marquée par le manichéisme politique ont déjà fait la preuve de leur nocivité clientéliste. Comment ne pas voir que le signal répressif donné par l’UE, en suivant ce modèle, sera valorisé par ses adversaires Russes et Chinois pour élargir la sphère anti-occidentale ?
Au-delà des principes, les dynamiques propres aux mouvements migratoires internationaux aux flux Nord-Sud en particulier, laissent sceptiques quant à l’efficacité d’une telle conditionnalité migratoire inscrite dans le SPG. Les pays les plus pauvres réticents à coopérer en matière de retour sont aussi ceux où la société civile est opprimée, ceux dans lesquels les aides se perdent dans les méandres de la corruption : ils tiennent vaille que vaille grâce aux « remittances », aux ressources renvoyées au pays par la diaspora émigrée. Il y a peu de chances pour que la perte du SPG soit une incitation suffisante à décourager les départs, fussent-ils irréguliers, qui génèrent ensuite ces ressources.
D’une certaine manière, la rédaction de la communication de la Commission européenne qui introduit la réforme décennale du SPG est révélatrice du malaise que nous voulons ici dénoncer. Les considérants (26 et 27) de la proposition de règlement qu’elle soutient soulignent la nature coopérative d’un défi migratoire commun entre l’UE et les pays du Sud, particulièrement africains : « Il est essentiel que tant les pays de destination que les pays de départ s’emploient à régler des problèmes communs tels que le renforcement de la coopération en matière de réadmission des ressortissants nationaux et leur réintégration durable. » Ou encore « le retour, la ré admission, la réintégration sont des défis communs ». Ce sont des paroles justes. Mais alors on s’étonne de voir ces considérants justifier des décisions unilatérales de suspension du SPG. L’Union européenne est bien en droit d’appliquer une politique de retours. Ils sont le corollaire d’une politique de migrations légales. Mais ces politiques ne peuvent pas ou plus être conçues unilatéralement sans véritable concertation avec les pays d’origine.
Aujourd’hui la politique de retour de l’UE est un échec, avec seulement 20 à 40 % de succès selon les pays, mais ce n’est pas faute de manier les sanctions telles que la suspension des visas. Si les politiques de migrations légales, y compris la gestion des retours, sont vraiment d’intérêt commun il est temps, comme l’Institut Jacques Delors et bien d’autres organisations le soulignent de longue date, d’en faire un enjeu de vraie coopération avec le Sud.
Notes
[1] Voir le texte COM(2021) 579 final.
[2] Conçu au début des années 70, le Système des préférences généralisées est destiné à encourager les importations de biens (essentiellement alimentaires et industriels ) en provenance des pays les plus pauvres au moyen d’un abaissement des droits de douanes, pouvant aller jusqu’à leur complète suppression, en vue de faciliter leur développement selon le principe que « le commerce vaut mieux que l’aide ». Ce dispositif a connu plusieurs développement importants, notamment en 2001 par la création au sein du SPG du dispositif « Tout sauf les armes « (TSA) qui annule complètement les droits sur tous les biens sauf les armes importés vers l’UE originaire des pays les moins avancés.
[3] Art 19, alinéa 2c
[4] Cf. note 2.
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