Blog post 200430
Devant le pari risqué d’atteler la relance à la négociation budgétaire, le besoin d’un « plan B »
Par Eulalia Rubio, Chercheuse senior, Institut Jacques Delors, & Sébastien Maillard, Directeur, Institut Jacques Delors.
Les auteurs souhaitent remercier Pascal Lamy d’avoir inspiré et révisé ce BlogPost.
La relance risque de ne pas être pour demain. Depuis la décision de l’Eurogroupe, le 9 avril dernier, de mettre en place un fonds de relance après l’épidémie de Covid-19 « proportionnel aux coûts extraordinaires induits par la crise actuelle », le débat européen s’est focalisé sur le montant, les modes de financement et l’articulation de ce nouveau fonds avec le prochain budget à long terme de l’UE. Les précisions apportées à ces questions par le Conseil européen du 23 avril sont restées limitées, excepté sur un point : conformément à l’avis de la Commission, les dirigeants européens ont décidé d’intégrer cet effort de relance massif au prochain cadre financier pluriannuel (CFP) couvrant la période 2021-2027.
Intégrer l’effort de relance dans le prochain CFP offre de nombreux avantages…
La proposition de la Commission ne devrait pas être précisée avant le 13 mai, au plus tôt. À en juger par certaines annonces initiales, la Commission devrait proposer, d’une part, d’autoriser l’Union à lever massivement des capitaux sur les marchés financiers en utilisant le budget communautaire comme garantie, et, d’autre part, d’utiliser ces fonds supplémentaires pour apporter un soutien aux États membres (en combinant des subventions et des prêts) mais aussi directement au secteur privé (par des garanties, des prêts et/ou des capitaux propres), en élargissant les programmes communautaires existants et en en créant de nouveaux. Pertinent, le projet offre de nombreux avantages par rapport à la mise en place d’un fonds de relance ex novo hors budget communautaire. Cette intégration au budget européen sous-entend qu’il appartiendra bien à la Commission, et non aux États membres, de décider des modalités de répartition de ces fonds. En outre, leur utilisation sera contrôlée et surveillée par des institutions européennes, telles que le Parlement européen, la Cour des comptes européenne et l’Office européen de lutte anti-fraude. Il s’agit là d’un point important pour s’assurer non seulement que les montants sont correctement dépensés mais aussi que les dépenses relatives au Covid-19 renforcent, et non fragilisent, d’autres objectifs stratégiques de l’UE, tels que l’indispensable transition écologique.
… mais constitue un pari politique dangereux sur un avenir très incertain
Néanmoins, d’un point de vue politique, le fait de placer le nouveau fonds Covid-19 et le CFP dans un même « programme de relance » représente un pari risqué pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le CFP donne normalement la traduction budgétaire, sur sept ans, de la feuille de route stratégique de l’UE. Étant donné l’ampleur de la crise Covid-19, le degré d’incertitudes concernant la crise sanitaire ainsi que l’impact économique, social et politique de ce choc colossal, il semble présomptueux de vouloir précipiter une décision portant sur un aspect aussi engageant pour l’avenir à long-terme de l’Union. Une réflexion solide de la Commission, qui s’est définie comme « géopolitique », sur l’« après », suivie d’une délibération au Conseil européen et au Parlement, permettrait de fournir un cadre au sein duquel le CFP devrait parvenir à s’intégrer. L’agenda à long terme (les bœufs) devrait être placé avant le budget (la charrue), et non l’inverse.
Ensuite, les négociations sur le CFP sont déjà extrêmement polarisées. Elles ne vont pas être facilitées par la mise à l’arrêt de l’activité économique pratiquement partout. Par ailleurs, alors qu’un instrument intergouvernemental peut, en l’absence de consensus européen, finir par être mis en place par une « coalition des volontés », ce n’est pas le cas pour le CFP. Ainsi, pour augmenter le plafond des ressources propres de l’UE, élément essentiel dans la stratégie visant à emprunter massivement en utilisant le budget communautaire comme garantie, l’unanimité des 27 États membres et la ratification par tous les parlements nationaux seront requises. Une telle ratification n’est nullement acquise. Un nouveau CFP ajusté au Covid impliquera en effet inévitablement un transfert des fonds de « l’Est » vers le « Sud », ce qui devrait déplaire à certains pays d’Europe de l’Est, d’autant plus si le montant restant des fonds communautaires reçus est accompagné d’une conditionnalité renforcée sur le respect de l’état de droit ». Il est ensuite nécessaire d’obtenir l’approbation du Parlement européen par un vote à la majorité, que les députés européens utiliseront sans doute pour exercer une pression politique en faveur de leurs propres priorités.
Enfin, la possibilité que le Conseil européen ne prenne aucune décision cruciale sur un tel accord avant d’être en mesure de se réunir physiquement en juin, voire plus tard, pourrait aussi retarder ce « programme de relance » si attendu.
Pour toutes ces raisons et dans ces circonstances, il existe un risque réel de ne pas parvenir à un accord sur le CFP, ou de voir les 27 États membres et le Parlement adopter une décision relative au prochain budget communautaire à long-terme très loin d’être optimale, dans un compromis de dernière minute, mal préparé mais ensuite fixé pour longtemps.
Un « plan B » : reporter les négociations sur le CFP et élaborer un budget 2021 adapté au Covid
Devant ce possible scénario, la Commission devrait préparer un « plan B » et se tenir prête à le présenter. Si, dans les jours à venir, aucun signe clair n’apparaît qu’un accord au Conseil sur un « programme de relance dans le cadre du CFP » est envisageable d’ici au mois de juin, elle devrait proposer aux dirigeants de l’Union de reporter le calendrier de négociation du CFP à l’automne prochain afin de prendre le temps d’une réflexion stratégique sérieuse.
Ce découplage leur permettrait de se concentrer sur les négociations relatives au fonds de relance Covid-19 en tant que tel. S’il est approuvé en 2020, ce nouveau fonds pourrait être financé au départ par des garanties des États membres. La règlementation pourrait néanmoins définir un rôle prééminent de la Commission dans la gestion de ce fonds et prévoir la possibilité d’utiliser ses revenus pour élargir les programmes budgétaires communautaires existants. Elle pourrait également laisser la porte ouverte à la possibilité d’une intégration ultérieure du fonds dans le prochain CFP, permettant ainsi d’augmenter davantage les montants dédiés à la relance.
Parallèlement, la Commission devrait préparer une proposition de budget communautaire pour 2021, adapté à la pandémie. L’adoption de ce budget exceptionnel sera difficile en soi mais moins que celle d’un nouveau CFP aux nombreuses innovations. Elle nécessiterait la majorité absolue, et non l’unanimité, au Conseil et ne couvrirait qu’une seule année. Le montant des fonds ne serait pas considérable. Conformément à l’article 312.4 du TFUE, ce budget exceptionnel pour 2021 devra maintenir le niveau des dépenses de 2020 corrigé de l’inflation[1]. Pour ne pas modifier les équilibres politiques existants, il devrait majoritairement être alloué aux programmes pré-existants mais aussi être en mesure de réaffecter des dépenses afin de financer des mesures liées au Covid-19. Certaines nouveautés introduites dans le budget 2020 devraient être maintenues – telles que la flexibilité accrue en matière d’utilisation des fonds de la politique de cohésion pour faire face à la crise. En outre, si la période transitoire prévue dans le cadre du Brexit n’est pas prolongée, environ 6 à 7 milliards d’euros supplémentaires, préalablement alloués au Royaume-Uni, pourraient être utilisés à cet effet.
Enfin, alors que tous les États membres vont voir leur participation augmenter légèrement en 2021 pour compenser les pertes dues au retrait britannique de l’UE, les contributions budgétaires basées sur le RNB (Revenu National Brut) seront calculées sur la base des prévisions de RNB pour 2021. De ce fait, les pays enregistrant les plus forts chocs négatifs de leur PIB, à savoir l’Espagne et l’Italie, bénéficieront d’une hausse de leur contribution moindre que celle d’Etats moins touchés par la crise. En outre, les rabais et corrections limitant les contributions au budget communautaire du Danemark, de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la Suède expirent en 2020. Sauf en cas d’accord unanime au Conseil pour réformer la décision relative aux ressources propres et introduire de nouvelles corrections, les pays du Nord, relativement plus épargnés par la crise sanitaire, devront faire un effort supplémentaire de contribution à un tel budget 2021 exceptionnel.
Un CFP actualisé et optimisé
Dans le cadre de ce « plan B », la Commission disposerait d’un délai supplémentaire pour redéfinir une proposition de CFP vraiment nouvelle, prenant pleinement en compte le choc du Covid-19, au lieu de prendre le risque de recycler à la hâte une proposition datant de 2018, devenue obsolète et qui pourrait finir par être déjà dépassée par une nouvelle détérioration des conditions économiques, sociales et politiques au moment où ce CFP sera enfin adopté.
Un report des négociations du CFP après le pic de la pandémie permettrait aux Vingt-Sept de mieux prendre en compte tous les effets de celle-ci pour les années à venir. Cela permettrait à l’Union de définir un budget qui reflète réellement ses nouvelles priorités et ses nouveaux défis, et qui investit donc mieux pour son avenir.
[1] En cas d’absence d’accord sur le CFP, l’article 312.4 du TFUE stipule que les plafonds et autres dispositions correspondant à la dernière année du cadre financier précédent sont prorogés.
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