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Tirer le meilleur parti de l’Année européenne des compétences

Article a été publié dans sa version originale par Social Europe : Making the most of the European Year of Skills (socialeurope.eu)

| 05/05/2023

Citer cet article

Fernandes S. 2023. « Tirer le meilleur parti de l’Année européenne des compétences », Blogpost, Paris : Institut Jacques Delors, 5 mai.


Au début des années 1990, Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, défendait la formation tout au long de la vie comme le « catalyseur d’une société en mutation ». Il estimait qu’en développant leurs compétences, les individus seraient plus résilients pour tirer profit des transformations de nos sociétés et qu’ils auraient la possibilité d’en devenir les acteurs.

Trois décennies plus tard, la promotion d’une culture de la formation tout au long de la vie se poursuit dans l’Union européenne, alors qu’il est plus crucial que jamais d’adopter une approche holistique et continue de la formation. L’Année européenne des compétences 2023 constitue une opportunité de susciter un changement d’état d’esprit afin de faire de la formation tout au long de la vie la nouvelle norme. Il ne faut pas la rater.

Des changements rapides et profonds

Le monde du travail connaît des mutations rapides et profondes, et ce processus va s’intensifier. L’émergence des technologies numériques et la transition vers une économie neutre en carbone transformeront les emplois et les besoins en compétences dans tous les secteurs. Certains emplois disparaîtront ou évolueront considérablement tandis que de nouveaux seront créés.

Il est prévu que la transition écologique génère 2,5 millions d’emplois supplémentaires dans l’UE d’ici 2030, même si la décarbonation de l’économie aboutira à des pertes d’emplois dans des secteurs tels que les combustibles fossiles et les industries à forte intensité carbone. Parallèlement, l’automatisation entrainera – selon de récentes estimations – la perte de 10 à 15% d’emplois, notamment les emplois aux tâches très répétitives, même si de nouveaux emplois seront également créés, dans les secteurs de la robotique, de l’analyse de données, de la cybersécurité, etc.

Ces dynamiques auront des impacts majeurs sur les besoins en compétences. Celles des travailleurs dont l’emploi disparaitra seront probablement obsolètes, les emplois détruits et ceux créés  nécessitant de  compétences différentes ; le besoin de requalification est ainsi essentiel pour garantir que personne ne soit laissé pour compte. Par ailleurs, d’importantes pénuries de compétences voient le jour : plus des trois quarts (77 %) des entreprises de l’UE déclarent éprouver des difficultés à trouver des salariés dotés des compétences dont elles ont besoin.

Les défis persistent

Au-delà des réformes menées au niveau national, les responsables européens adoptent des principes communs et des initiatives conjointes pour développer la formation des adultes. L’action est encadrée par la Stratégie européenne en matière de compétences ; elle inclut le Pacte pour les compétences, la Coalition pour les compétences et emplois numériques, les recommandations du Conseil de l’UE sur les comptes de formation individuels et les microcertifications. Il existe aussi des instruments de financement pour soutenir le développement des compétences – le Fonds social européen +, la Facilité pour la reprise et la résilience, le Programme pour une Europe numérique, Horizon Europe et Erasmus+.

Cependant, de nombreux défis persistent. La participation à la formation des adultes est globalement trop faible – seulement 43,7 % des adultes européens participent chaque année à une formation – et inégale entre Etats membres : les taux de participation varient entre 7 % en Roumanie et 64 % aux Pays-Bas. Adopté en 2021 au sommet social de Porto, l’objectif de l’UE pour 2030 est qu’au moins 60 % des adultes suivent une formation chaque année.

Cette faible participation à la formation des adultes est exacerbée par le manque d’inclusivité : les personnes ayant le plus besoin de se former, à savoir les chômeurs, les travailleurs faiblement qualifiés et les personnes ayant des contrats atypiques, sont celles suivant le moins de formations. L’écart est particulièrement important pour les adultes peu qualifiés, dont la participation moyenne à la formation est inférieure de 40 points de pourcentage à celle de leurs homologues hautement qualifiés. D’autres défis concernent le sous-investissement dans la formation des adultes et les formations de qualité insuffisante et non adaptées aux besoins du marché du travail.

Une révision en profondeur

Des changements progressifs peuvent aider mais seule une révision en profondeur, reflétant le rôle central de la formation continue dans nos sociétés et économies, peut permettre de faire de la formation tout au long de la vie la nouvelle norme dans l’UE. L’Année européenne des compétences représente une opportunité pour promouvoir un tel changement de paradigme afin de, comme l’indique la Commission, donner aux individus les moyens d’élargir leurs aspirations et d’améliorer leur employabilité tout en répondant aux pénuries de main d’œuvre at ainsi renforcer la compétitivité des entreprises et  réaliser le potentiel des transitions numériques et écologiques.

La Commission souhaite profiter de cette année pour mobiliser toutes les parties prenantes concernées, y compris les institutions et les agences européennes, les gouvernements nationaux, les partenaires sociaux, les services publics de l’emploi, les prestataires d’éducation et de formation ainsi que les entreprises. L’action doit se concentrer sur trois priorités.

Tout d’abord, il convient de renforcer la prise de conscience sur l’importance du développement des compétences pour les individus, les entreprises et la société, et sur la nécessité d’adopter une culture de la formation tout au long de la vie. Cela permettra non seulement d’augmenter la volonté des entreprises et des États d’investir dans la formation des adultes mais aussi celle des citoyens de suivre des formations.

Au niveau de l’UE, 80 % des personnes ne suivant pas une formation ne le font pas car elles ne le souhaitent pas, notamment car elles estiment ne pas avoir réellement besoin de se former davantage. Il est donc nécessaire de créer un environnement qui soutient la formation tout au long de la vie et qui offre aux travailleurs la capacité de s’approprier pleinement de leur parcours de formation.

Des campagnes de prise de conscience et une communication sur les opportunités de développement des compétences et activités à travers toute l’Europe seront utiles. L’accent doit être mis non seulement sur les compétences techniques mais aussi sur les compétences transversales : l’adaptabilité, la capacité « d’apprendre à apprendre » et la résolution de problèmes constituent des éléments clés pour favoriser un esprit d’apprentissage tout au long de la vie et doivent être encouragés dès la formation initiale.

Deuxièmement, la qualité de la formation, son adéquation aux besoins du marché du travail ainsi que la reconnaissance et la validation des résultats de l’apprentissage devraient être renforcés. Alors que certains pays enregistrent de meilleures performances que d’autres dans ces domaines, l’UE devrait promouvoir l’échange de bonnes pratiques. Des initiatives concrètes devraient inclure l’amélioration de l’anticipation des compétences et la promotion de l’utilisation des outils numériques pour la reconnaissance des compétences (tels que les badges numériques).

Troisièmement, les responsables politiques et les partenaires sociaux doivent s’attaquer au manque d’investissements dans le développement des compétences. Cela implique d’augmenter les financements européens et de les utiliser plus efficacement, mais cela ne sera manifestement pas suffisant. La Commission devrait promouvoir l’adoption de comptes de formation individuels au niveau national, avec un financement adapté, conformément à la recommandation du Conseil de 2022. Les responsables politiques devraient aussi envisager, dans le cadre de la révision du Pacte de Stabilité et de Croissance, de déduire ces investissements sociaux des règles budgétaires concernant le déficit public, comme l’a proposé Anton Hemerijck.

Soutenir l’inclusion sociale

Au cours de l’Année européenne des compétences, le développement des compétences devrait aussi être promu comme un outil pour soutenir l’inclusion sociale. Par le biais de la formation des adultes, les personnes n’ayant pas réussi leur formation initiale, ou qui reviennent sur le marché du travail après plusieurs années d’absence, peuvent se voir offrir une seconde chance. Des citoyens qualifiés ont non seulement de meilleures opportunités d’emploi mais aussi des moyens accrus de s’engager pleinement dans la société, en étant des citoyens actifs.

La Commission a proposé d’accorder la priorité à certains groupes cibles, tels que les jeunes sans emploi ou sans éducation et les migrants (par exemple pour faciliter la reconnaissance des qualifications de ces derniers). Une attention particulière devrait également être accordée aux personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, par exemple par le biais d’initiatives visant à développer leurs compétences numériques de base, compte tenu de l’objectif pour 2030 de l’UE selon lequel 80 % des citoyens européens devront avoir ces compétences (contre un peu plus de la moitié actuellement).

Comme le souligne la Commission, l’Année européenne des compétences devrait aussi avoir pour objectif de réduire l’écart hommes-femmes dans les domaines des sciences et de la technologie. Seuls 19 % des spécialistes des technologies de l’information et de la communication (TIC) et environ un tiers des diplômés en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) sont des femmes. De nouvelles initiatives sont nécessaires pour lutter contre cette sous-représentation. Si l’UE souhaite atteindre un autre objectif à l’horizon 2030, celui de l’emploi de 20 millions de spécialistes des TIC (contre tout juste 7,8 millions en 2019), l’augmentation de la part des femmes dans ces domaines constitue un élément clé.

Enfin, dans le contexte du vieillissement de la population européenne, la formation tout au long de la vie joue un rôle crucial dans la promotion du vieillissement actif. Presque tous les États membres ont adopté – ou sont en cours de négociation – des réformes de leurs systèmes de retraites qui visent à augmenter l’âge de départ à la retraite. Des vies professionnelles plus longues doivent aller de pair avec la prévention de l’obsolescence des compétences et l’augmentation du bien-être au travail – la mise à niveau des compétences tout au long de la vie peut y contribuer positivement.

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