[EN] Le commerce en temps de pandémie
Cet article est une mise à jour de celui publié en espagnol en juillet 2020 sur anuariocidob.org.

Les attaques protectionnistes de Donald Trump et le retrait progressif de Washington des règles multilatérales ont déjà provoqué une instabilité et un ralentissement économique mondial. La pandémie de Covid-19, qui a plongé l’économie mondiale dans une récession avec des chocs asymétriques sur les économies nationales et les régions, est un changement systémique plus décisif pour la mondialisation, avec un rééquilibrage nécessaire des priorités entre efficacité et résilience.
La gestion de cette crise sanitaire complexe, avec des perturbations logistiques potentielles régulières et la nécessité de mieux anticiper les risques futurs (viraux, numériques, liés au changement climatique, etc.), appelle à réduire la dépendance à un seul fournisseur, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un pays. La reconfiguration des chaînes de valeur pourrait prendre différentes formes. L’État aura tendance à jouer un rôle plus important dans la gestion des chaînes de valeur en relocalisant la production dans des secteurs stratégiques tels que le secteur de la santé afin de garantir l’autonomie stratégique de l’approvisionnement de ses citoyens. Cependant, la dépendance à l’égard des importations de matières premières ou des technologies et du savoir-faire de pays tiers continuera à limiter la capacité à développer une production autonome au niveau national. Le raccourcissement des chaînes de valeur afin de réduire les risques géopolitiques se traduira plutôt par une délocalisation à proximité au niveau régional. Pour les Européens, cela signifie le marché unique et leurs voisins proches. Cela nécessitera également un arbitrage politique délicat entre les risques qu’un gouvernement décide de traiter en priorité.
Une tendance encore plus évidente sera la nécessité pour les entreprises de réduire les risques de perturbations potentielles en diversifiant leurs fournisseurs à l’échelle mondiale et en rééquilibrant le « juste à temps » et les stocks. Ces deux tendances entraîneront une augmentation des prix de production et le renforcement de cette résilience nécessitera un recours intensif à l’intelligence artificielle afin d’améliorer la connaissance et la surveillance des vulnérabilités des réseaux de production.
Pourtant, la pandémie ne fera pas complètement disparaître les tendances d’hier : ni la guerre commerciale, ni la marge de manœuvre réduite dont disposent les Européens entre Washington et Pékin, ni la nécessité de jouer un rôle de premier plan dans la défense des règles multilatérales.
Au début de l’année 2020, l’UE se préparait à être la prochaine cible de Washington dans un bras de fer dans le cadre de négociations bilatérales. La cohérence de Donald Trump dans son approche agressive « uniquement tarifaire », axée sur l’obtention d’un second mandat présidentiel, qui l’a même conduit à augmenter les droits de douane sur les avions européens à la mi-mars, ne soulagera pas les entreprises déjà en difficulté face à la crise. La guerre s’intensifiera avec la Chine et d’autres grandes puissances commerciales, notamment l’UE, avec une surenchère de subventions publiques pour atténuer la crise.
Les Européens se trouvaient déjà dans une position inconfortable, pris entre Washington, qui se retire des règles multilatérales, et Pékin, qualifié par Bruxelles de « rival systémique », qui exploite les lacunes des règles de l’OMC pour subventionner ses entreprises publiques. Si la gestion de la crise nécessite des mesures exceptionnelles, qui risquent même de créer des distorsions au sein du marché unique, les Européens doivent plus que jamais faire preuve de prudence pour remédier aux distorsions commerciales sans déclencher une escalade protectionniste et un retour au Far West du commerce international. Le sort de l’UE dépendra de sa capacité à préserver sa cohésion/solidarité interne et une position équilibrée entre les États-Unis et la Chine, car elle doit obtenir des engagements tangibles de la part de cette dernière pour ancrer Washington dans la réglementation commerciale mondiale. Mais il sera difficile d’éviter que la résilience locale fondée sur une précaution croissante n’entraîne une plus grande fragilité mondiale, avec par exemple une escalade des restrictions à l’exportation, car il est encore plus difficile d’uniformiser les règles du jeu en matière de précaution que de lutter contre le protectionnisme.