Trump a donné à l’Europe une chance de façonner son propre avenir
Tribune publiée en anglais dans le Financial Times le 22 juin 2025

Les actions de Donald Trump au cours de son second mandat montrent clairement que nous avons affaire à une vision stratégique à long terme qui vise à redéfinir le rôle mondial des États-Unis, à affaiblir le multilatéralisme et à accroître la pression sur les alliés, en particulier l’Europe.
Le président américain poursuit un programme qui oblige l’UE à faire face à une réalité urgente : elle doit renforcer son autonomie et sa capacité d’action. Paradoxalement, le défi lancé par Trump offre à l’Europe une occasion sans précédent de le faire. Il pourrait être le catalyseur d’une intégration plus profonde et d’une UE plus forte et plus déterminée.
Cette UE doit commencer par tirer pleinement parti de ses deux atouts les plus puissants : le marché unique et l’euro.
Le marché unique a donné à l’Europe un poids économique et une résilience, mais il reste incomplet. Dans un monde de puissances continentales et de blocs économiques, aucun État membre de l’UE ne peut agir seul. Pour traverser la tempête géopolitique actuelle, nous devons nous développer et construire un marché véritablement européen, en commençant par la finance, l’énergie, l’innovation et, oui, la défense.
Sans envergure dans ces domaines, l’Europe risque de devenir une colonie économique. Il ne s’agit pas d’un danger théorique : l’Europe dépend de plus en plus de plateformes étrangères pour ses infrastructures numériques, d’investisseurs non européens pour financer son base industrielle et de puissances extérieures pour son énergie et sa protection militaire. Les risques sont tant politiques qu’économiques : cette dépendance limite notre capacité à agir dans notre propre intérêt et nous rend vulnérables aux décisions prises ailleurs.
La priorité immédiate est de libérer tout le potentiel du marché unique, en commençant par achever l’intégration des marchés financiers. L’Europe est un continent riche en capitaux qui, paradoxalement, n’investit pas suffisamment en lui-même. Chaque année, des milliards d’euros provenant de l’épargne des ménages sortent de l’UE, et une grande partie de ces capitaux restent inutilisés sur des comptes de dépôt à faible rendement.
Ces ressources doivent être mobilisées pour atteindre nos propres objectifs stratégiques. Un marché unique européen des capitaux permettrait de canaliser l’épargne européenne vers les entreprises européennes, renforçant ainsi l’innovation, les transitions verte et numérique et la compétitivité industrielle.
Pour atteindre cet objectif, les efforts nationaux doivent s’accompagner d’une stratégie européenne cohérente axée sur des mesures concrètes : la création de produits d’épargne paneuropéens attractifs et sûrs ; la consolidation des infrastructures de négociation et de post-négociation ; la centralisation des pouvoirs de surveillance des activités transfrontalières ; l’alignement des législations en matière d’insolvabilité, de fiscalité et de droit des sociétés, ainsi que la mise en place de ce que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé un « 28e régime », un cadre réglementaire unique pour toute l’UE ; des gestionnaires d’actifs compétitifs à l’échelle mondiale ; et un écosystème plus solide pour les entreprises en phase d’expansion.
En bref, l’union de l’épargne et des investissements proposée, qui était un pilier central de mon rapport intitulé « Bien plus qu’un marché », offre un cadre politique complet pour approfondir les marchés de capitaux de l’UE. Pour la mettre en œuvre, nous devrions introduire les délais contraignants qui ont fonctionné pour la création de l’euro, par exemple en fixant la date de démarrage au 1er juillet 2027.
Nous devons également faire davantage pour exploiter pleinement le potentiel de l’euro. Près de 20 % des réserves mondiales sont détenues en euros, mais l’absence d’un véritable actif européen sûr et la fragmentation des marchés financiers limitent son rôle. Comme l’a souligné à plusieurs reprises Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, le renforcement de l’euro est essentiel à la résilience de l’Europe. Dans un monde où le pouvoir économique est de plus en plus utilisé comme une arme sous forme de sanctions, de restrictions commerciales et de coercition financière, il ne s’agit plus seulement d’une question économique, mais d’une question de souveraineté.
Dans un contexte d’incertitude croissante quant au rôle du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale et d’appétit mondial pour les bons du Trésor américain, l’Europe a une occasion historique à saisir. L’expansion du rôle international de l’euro permettrait à l’UE de réduire les coûts de financement des gouvernements et des entreprises et d’attirer davantage d’investissements. Des initiatives récentes telles que NextGenerationEU, l’instrument sûr pour la défense et le projet d’euro numérique ont contribué à jeter les bases de l’émergence d’un véritable actif européen sûr. Mais nous devons aller plus loin.
Une autre idée ambitieuse consiste à développer considérablement le marché des obligations supranationales de l’UE, pas nécessairement par le biais de nouvelles dettes, mais en remplaçant progressivement une partie de la dette nationale par des obligations communes. Les investisseurs mondiaux recherchent activement des alternatives au marché des bons du Trésor américain. Un marché des euro-obligations vaste, profond et liquide répondrait à cette demande et jetterait les bases d’un système financier européen véritablement autonome.
L’ordre mondial est en train de se redessiner sous nos yeux. Si l’Europe veut rester un acteur mondial, elle doit agir maintenant, ensemble. L’intégration économique et financière n’est pas une fin en soi, elle est le fondement de l’autonomie stratégique.
Comme l’a déjà souligné Jacques Delors, l’Europe est confrontée à un choix : la survie ou le déclin. Sans une action audacieuse, les tendances économiques et démographiques actuelles pousseront l’Europe vers la marginalisation et l’insignifiance sur la scène mondiale. Mais cela n’est pas une fatalité. La volonté politique et la vision stratégique peuvent encore faire la différence. En nous appuyant sur nos atouts uniques – notre marché et notre monnaie, notre histoire et nos valeurs –, nous pouvons doter l’UE des outils dont elle a besoin non seulement pour résister au déclin, mais aussi pour façonner son propre avenir avec confiance et détermination.