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Trump, l’Otan et la défense européenne
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Gnesotto, N. « TRUMP, l’Otan et la défense européenne », Blogpost, Institut Jacques Delors, novembre 2024
On y est. L’UE est désormais en ordre de marche avec ses 27 commissaires agréés par le Parlement européen. La future administration américaine ne l’est pas encore, mais comme le choix des futurs responsables par Donald Trump vise précisément à faire exploser la culture de l’administration américaine, on peut dire que tout est en ordre de marche : d’un côté des institutions européennes solides, de l’autre le « n’importe quoi » au service de Donald Trump.
L’une des questions que cet étrange attelage américain soulève concerne la vitalité à venir de l’Otan. Pour les Européens, c’est une question existentielle Pour Trump, c’est essentiellement un marchandage qui peut se révéler « juteux ». Quatre nouvelles conditionnalités pourraient être mises en face des Européens : augmenter les budgets de défense nationaux jusqu’à 4% du PIB ; changer la clé de répartition des dépenses civiles et militaires de l’Otan, en augmentant sensiblement la part européenne ; obtenir des alliés un engagement à acheter jusqu’à 90% de leurs armements aux industries américaines du secteur ; obtenir que l’Otan soit compétente, sans changer le Traité, pour suivre les États-Unis contre la Chine si le besoin se faisait sentir.
Comment réagiront les Européens ? Entre l’acceptation pure et simple de ces conditions, la renégociation de certains aspects, l’invention de contre-propositions éventuelles, le risque majeur est celui de la division : certains États n’ont pas d’industrie de défense, d’autres sont déjà convaincus de la priorité de l’Indo Pacifique, d’autres sont déjà passés à 4% de défense nationale, d’autres enfin argueront qu’il n’y a d’autre choix que de tout accepter étant donnée la menace russe. Il y a donc urgence pour qu’un « sommet européen spécial défense » soit convoqué par le nouveau président du Conseil européen et la Pologne, avec la présidente de la Commission et les commissaires concernés : rien ne sert en effet d’attendre le 20 janvier 2025 pour tenter de définir des positions européennes communes sur ce sujet majeur. Rien ne sert non plus d’attendre que l’Otan planifie une telle réunion : les Européens doivent arriver avec une position commune forte face à la nouvelle administration américaine.
Il y a d’autant plus urgence que la question de l’OTAN touche directement à celle de la défense européenne. D’ores et déjà, trois scénarios semblent se dessiner :
- Le tout OTAN, autrement dit l’acceptation de toutes les conditions américaines pour garder la crédibilité de l’Alliance. Cette décision mettrait un terme aux efforts européens, entrepris depuis 2022, en faveur d’une politique de défense commune et une base industrielle de défense solide.
- L’Otan et le bilatéral dispersé : la panique devant la dégradation de la situation stratégique de l’UE, entre un Trump imprévisible et une Russie requinquée, pourrait engendrer une sorte de course de vitesse des Européens aux bonnes grâces de Washington. Certains tenteront de signer des accords bilatéraux de défense. Rien n’indique que cette stratégie serait porteuse de nouvelles garanties américaines, mais elle pourrait durablement mettre un frein à la solidarité intra-européenne en la matière. Elle n’est pas antagonique du premier scénario.
- L’Otan et l’Union. Articuler une Alliance en voie d’incertitude et une Défense européenne en voie de consolidation, telle est sans doute la meilleure des formules possibles. Elle est aussi la plus difficile, car les risques de malentendus sont nombreux : les Américains peuvent tirer parti des efforts accrus des Européens pour se désengager encore plus ; les Européens peuvent refuser d’aller trop loin dans la création d’une vraie défense par peur que les Américains n’en tirent argument pour se désengager. La seule option est de construire cette autonomie européenne en bonne intelligence avec Washington.
Curieusement, la question ukrainienne n’a que peu d’influence sur celle de l’Otan. Il semble à peu près acquis en effet que les États-Unis n’accepteront pas d’intégrer l’Ukraine dans l’Otan, la réflexion tournant plutôt autour des garanties de sécurité que ce pays pourrait se voir attribuer : par qui ? Comment ? Jusqu’où ? etc. En revanche, la guerre en Ukraine est fondamentale pour l’avenir de l’Union et de sa crédibilité stratégique. Cette guerre vient d’entrer dans une phase particulièrement dangereuse : assiste-t-on à une escalade avant l’ouverture de négociations diplomatiques ? S’agit-il au contraire d’une escalade pure et simple ? Coincés entre Trump et Poutine, autrement dit deux chefs d’État peu rationnels pour dire le moins, les Européens ont intérêt à croiser les doigts. C’est justement parce qu’ils ne peuvent rien faire d’autre à ce stade, parce que leur sort et la possibilité d’une guerre totale en Europe se décident au-dessus de leur tête, que la nécessité d’une révolution politique de l’UE, en faveur d’une autonomie et d’une influence stratégiques majeures, reste plus que jamais d’actualité.