Rapport
Un nouveau mécanisme de coopération renforcée pour l’Union élargie
Parallèlement à l’élargissement de l’Union devront apparaître les techniques qui pourront permettre à ceux qui le souhaitent de renforcer les liens qui les unissent, sans pour autant contraindre les autres à les suivre. Cette étude n’aborde pas la question de la différenciation dans son ensemble, mais celle des coopérations renforcées, qui constituent l’élément le plus solidement construit de l’acquis communautaire dans ce domaine
AVANT-PROPOS DE JACQUES DELORS
La négociation d’élargissement s’est achevée en décembre dernier et, au moment ou J’écris, la rédaction du projet de Traité est terminée. Il reste bien sur à le signer et à le ratifier, ce qui suppose l’accord des gouvernements et des peuples de l’Europe à 25, mais ce n’est pas une figure de style de dire que la « Grande Europe » existe déjà , ce dont je me réjouis profondément. Nous avons maintenant l’esprit libre pour nous préoccuper sérieusement du fonctionnement de cette Union élargie et de la façon dont elle pourra surmonter le double défi du nombre et de la diversité qui, comme tous les défis, recèle à la fois sa part de difficulté et sa part de promesse.
Qui ne voit en effet que, sur bien des points importants, nous n’avons pas tous -hier à quinze, demain à vingt-cinq- la même vision des finalités et du rythme de l’intégration européenne ? J’ai dépensé beaucoup d’énergie à essayer d’illustrer ce que pouvaient raisonnablement être les grandes lignes d’un projet commun pour l’Europe à 25 et demain à 30 : instaurer un espace de paix active, promouvoir les conditions économiques et sociales d’un développement durable, approfondir le dialogue qui nous permet de nous enrichir de nos diversités spirituelles et culturelles. Si J’entends bien ce qui se dit, il s’agit cependant là d’un projet qui semblera trop limité à certains, mais aussi trop ambitieux à d’autres.
Comment donc vivre ces différences sur un mode qui ne soit pas celui de la frustration : frustration pour certains d’être brusqués pour aller plus vite et plus loin qu’ils ne le souhaitent alors, mais aussi frustration pour d’autres de devoir s’aligner sur le pas des plus lents. Comment en un mot se respecter pour ce que l’on est et vivre nos différences sur le mode de la conciliation ? C’est la question de la différenciation de l’Union, et elle n’est pas de celles que l’on aborde sans réticences. En ces temps de Convention européenne, il est naturel que l’on s’attache plus volontiers à ce qui rapproche qu’à ce qui prend acte de nos différences structurelles ou momentanées. Et pourtant, il serait dangereux d’éluder cette question, car nous nous retrouverions alors sans règle dynamique de vie commune.
Le débat constitutionnel qui s’est ouvert devra donc se prononcer sur les techniques qui pourront permettre à ceux qui le souhaitent de renforcer les liens qui les unissent, sans pour autant contraindre les autres à les suivre. C’est pourquoi J’ai souhaité que Notre Europe mette sur la table une contribution, non pas sur la question de la différenciation dans son ensemble, mais celle des coopérations renforcées, qui constituent l’élément le plus solidement construit de l’acquis communautaire dans ce domaine. Pour traiter un tel sujet avec toute la rigueur et la pondération nécessaires, il était difficile de trouver meilleur guide qu’Eric Philippart, qui fait autorité en la matière.
Je lui suis reconnaissant de l’avoir fait avec un souci de précision qui pourra sembler parfois ardu, mais épargnera bien des malentendus : avec lui, C’est chaque étape de la procédure qui est discutée et qui s’appuie solidement sur la construction de l’étape précédente. Le moindre des paradoxes n’est pas que ce souci du détail débouche sur une vision considérablement simplifiée et cohérente des dispositions actuelles des Traités, ce qui était une des clauses de notre cahier des charges.
Parce que J’ai également souhaité que ce travail se conclue par une proposition de rédaction des articles correspondants du futur Traité constitutionnel. Non pas pour tenter d’imposer une vision définitive -j’ai trop de respect du travail des conventionnels pour cela- mais plus simplement pour montrer que l’exercice était faisable, dans le meilleur esprit, celui de notre auteur que je me plais à saluer.
Trop de silence a occulté jusqu’à présent, toute discussion sincère sur l’hypothèse d’une ou plusieurs coopérations renforcées. Trop d’oubli du passé a fait reléguer, au second plan, la constatation objective que la construction européenne a souvent progressé gr ce à la différenciation. Il est temps d’ouvrir sereinement la réflexion et le débat.