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Va-t’en guerre et faiseurs de paix
la paix bâclée de Trump II en Ukraine prépare des guerres européennes
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Bret, C. « Va-t’en guerre et faiseurs de paix », Blogpost, Institut Jacques Delors, mars 2025
Aujourd’hui comme à chaque fois qu’ils connaissent un conflit d’ampleur, les Européens reviennent aux questions fondamentales des relations internationales : quand, comment, à quelles conditions et avec qui faire la paix ?
C’était le cas au Congrès de Vienne, en 1814-1815, pour mettre un terme aux bouleversements des conquêtes et des défaites napoléoniennes. La France, impérialiste et vaincue, avait pu y participer. C’était aussi la vocation de la conférence de Paris, en 1919, pour clore la Première Guerre mondiale. Les Puissances centrales, défaites, avaient dû prendre acte des Traités (de Paris, de Sèvres, de Trianon) qui leur avaient été imposés. Cela avait aussi présidé au sommet de Budapest, en 1994, pour organiser la sécurité européenne après la fin de la Guerre Froide, élaboré avec tous les États ayant succédé à l’URSS.
Les Européens bannis de leur propre sécurité ?
Paradoxe douloureux : les questions de la guerre, de la paix et de la sécurité sont aujourd’hui posées et traitées par des Non-Européens : les Russes et les Américains, sous l’égide des Saoudiens. Placés devant le fait accompli, ils ne siègent pas à la table des adultes mais ont été consignés dans l’antichambre, avec les enfants et les mineurs sous tutelle. Ukraine et Union européenne reçoivent en réalité le traitement des vaincus des Guerres mondiales : ils sont réduits aux rôles de spectateurs, au mieux, de cibles, au pire et – en tout état de cause, expulsés de leur propre continent. L’Ukraine sera même mise à l’amende pour rembourser les États-Unis de leur soutien militaire sous la forme de concessions minières avantageuses sur les terres rares. Quel renversement ! Les Européens, si souvent raillés pour leur pacifisme par leurs alliés américains, sont aujourd’hui vilipendés pour leur bellicisme. À Donald Trump et Vladimir Poutine la gloire des pacificateurs du continent ! Aux Européens et aux Ukrainiens l’opprobre des va-t’en guerre jusqu’au-boutistes. L’inversion du récit a été fulgurante ; la subversion des alliances, annoncée depuis longtemps, a été brutale. Et l’inversion des valeurs, stupéfiante : le droit international, la souveraineté de l’Ukraine, et la stratégie des sanctions sont brocardés comme des obstacles à la paix du continent. En attendant l’attribution du prix Nobel de la paix 2025 aux deux présidents ?
De la paix bâclée à la guerre indéfinie
Les pourparlers en cours à Riyad sont pourtant gros de conflits futurs pour l’Europe. Ce qui se discute à Riyad n’est ni une paix réelle ni même un armistice tenable. Les Européens le savent : il y a très loin d’un « cessez-le-feu » transitoire à un traité de paix.
L’absence de l’Ukraine parmi les parties à la négociation n’est pas seulement un scandale juridique (un État ne donne pas procuration à son protecteur pour faire la paix) mais un risque géopolitique considérable : celui de l’irrédentisme qui a tant alimenté les conflits européens. Soit les Etats-Unis scellent le troc (paix contre territoires), les Ukrainiens pourront indéfiniment clamer que les territoires concédés sont leurs. Ils pourront évidemment crier au pillage de leurs ressources minérales si un traité inégal sur les terres rares leur est imposé : le scénario est déjà bien rôdé dans certains pays africains pour rémunérer les gardes prétoriennes de Wagner Group autrefois et d’Africa Corp aujourd’hui.
Le moment choisi est lui aussi porteur d’un conflit différé. Loin de s’illustrer par son talent de la négociation, l’administration Trump II se précipite au moment où le front ukrainien est en faveur du partenaire de la négociation et après avoir par avance concédé la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. S’agit-il d’un coup de sang ou d’un aveuglement ? Sûrement pas : ces positions sont depuis longtemps annoncées par le candidat puis le président élu Trump ainsi que pas son colistier Vance. Avons-nous affaire à de l’incompétence ? Vraisemblablement pas car le dossier ukrainien mobilise tous les cerveaux de l’univers MAGA pour offrir un premier succès à Trump II. L’entrée en négociation est volontairement défavorable à l’Ukraine pour pouvoir obtenir des concessions sur d’autres sujets beaucoup moins mis en évidence : les relations avec la République Populaire de Chine, une neutralité bienveillante en cas de campagne américaine contre la souveraineté du Panama et du Danemark…
Ukrainiens et Européens ont d’ores et déjà le sentiment d’une trahison : le « coup de poignard dans le dos » est lui aussi à l’origine de bien des conflits en Europe (qu’on songe au revanchisme mussolinien). L’agenda électoral américain dicte en l’espèce la posture stratégique de l’administration Trump II : pour satisfaire immédiatement l’électeur MAGA, le président déclenche contre ses alliés une guerre commerciale (par les droits de douane), une croisade idéologique et un divorce militaire. Autant dire que tout accord forcé à Riyad ne recevra des principaux concernés qu’un assentiment forcé, donc vicié et finalement fragile.
Le contenu des discussions est lui aussi biaisé par le court-termisme : la stratégie des sanctions avait pour but, depuis 2014, d’obtenir des concessions de la Russie. Comme dans le cadre du JCPOA avec l’Iran, la désescalade russe aurait été graduellement récompensée par le démantèlement proportionné de sanctions. Les négociateurs américains, sommés de réussir rapidement, se hâtent aujourd’hui à leur propre détriment et « font tapis ». Un rapport de force dans la durée entre États-Unis et Russie, appuyé sur une aide militaire savamment dosée serait bien plus intéressante pour l’influence américaine dans la région. Quand une des deux parties à une négociation obtient l’essentiel de ses revendications et se voit octroyer en outre un « bonus » sous la forme du démantèlement des sanctions, il est en réalité incité à répéter sa tactique agressive initiale. Autrement dit, au vu de ses gains, la Russie est directement incitée à avancer dès qu’elle le pourra. La force paie…
Vers une paix proprement européenne ?
L’administration Trump II dilapide en quelques semaines la stratégie coûteuse mise en place par les États-Unis pour encourager l’Ukraine à l’inflexibilité. Soit : c’est un choix souverain. Elle redouble de mauvaise foi en plaçant les Européens sous le feu d’injonctions contradictoires : préparez-vous à la guerre mais sortez des discussions de paix ! C’est le jeu de la puissance.
Mais que les Européens se voient imposés des accords de cessez-le-feu, un texte d’armistice et un traité de paix est tout simplement dangereux. Les discussions de Riyad, nimbées de l’auréole du pacifisme MAGA, préparent une guerre européenne dont les États-Unis s’exonèrent par avance. Elles nourrissent déjà l’irrédentisme ukrainien, la course aux armements partout, le revanchisme et le revisionnisme russe. Les Européens sont en l’espèce les véritables pacifistes car ils savent qu’une paix durable sur leur continent ne s’élabore qu’à certaines conditions : consentement des populations victimes de la guerre, rapport de force militaire réellement bloqué ou favorable à la diplomatie, insertion des accords bilatéraux dans des systèmes de garanties bilatérales, etc. Les véritables bellicistes et les authentiques pacifistes ne sont pas là où l’administration Trump II veut les placer. Les sommets tenus par les Européens à Londres et bientôt à Bruxelles renouent avec un vieil adage européen : si vis pacem para bellum.