En pleine contestation du monde agricole, la déclaration de la Commission européenne n’a pas manqué de jeter de l’huile sur le feu. Alors qu’on croyait le projet d’accord entre l’UE et le Mercosur au point mort, le vice-président de l’exécutif européen, Valdis Dombrovskis, a déclaré, mercredi 24 janvier : « Une conclusion des négociations est envisageable avant la fin de ce mandat. »

Une déclaration vécue comme une provocation, après la signature d’autres accords de libre-échange ces derniers mois avec la Nouvelle-Zélande, le Kenya ou encore le Chili. Au premier rang des demandes des syndicats agricoles figure en effet un moratoire sur ce type d’accords.

Vendredi 26 janvier, lors de sa prise de parole, le premier ministre Gabriel Attal a déclaré que « La France s’oppose de manière très nette à la signature du traité Mercosur », a-t-il assuré.

► Où en sont les accords de libre-échange de l’Union européenne ?

Plusieurs accords de libre-échange bilatéraux ont été signés ces dernières années. Le plus fameux est le Ceta, conclu avec le Canada en 2019, qui avait suscité une opposition massive. Il doit encore être ratifié par plusieurs parlements nationaux (dont le Sénat français), si bien que son entrée en vigueur n’est que partielle. La même année était entré en vigueur, sans vagues, un accord avec le Japon, prévoyant la suppression des droits de douane sur de nombreux produits, notamment agricoles.

Ces dernières années, l’UE a continué à signer des traités avec d’autres pays tiers, comme le Chili (qui doit encore être ratifié par le Parlement européen), la Nouvelle-Zélande (qui entrera en vigueur au printemps) ou encore le Kenya (signé en décembre). Des négociations sont également en cours avec l’Inde et l’Australie.

Si certains d’entre eux sont critiqués, c’est le projet de traité avec le Mercosur, en négociation depuis le début des années 2000, qui cristallise le plus les tensions avec les agriculteurs. Il permettrait notamment l’importation en Europe d’énormes quotas de viande bovine, porcine, de volaille, de sucre et d’éthanol venus de ces pays d’Amérique latine – dont le Brésil et l’Argentine –, faisant craindre aux opposants une déstabilisation des filières européennes.

Depuis des mois, le gouvernement français, mais aussi la plupart des députés de l’opposition, défendent le principe de « clauses miroirs » protégeant les agriculteurs, en imposant la réciprocité des règles pesant sur les produits importés et bénéficiant d’une suppression des droits de douane.

► Pourquoi l’Europe multiplie-t-elle les traités ?

À l’heure de la crise environnementale et des enjeux sociaux dans le monde agricole, nombre d’observateurs s’interrogent sur les injonctions contradictoires portées au niveau européen, entre accélération « verte », d’une part, et importation d’une alimentation produite dans des conditions en deçà des standards européens, d’autre part. La critique vient d’ailleurs aussi bien des écologistes que d’une partie des producteurs…

Le débat dépasse en réalité la simple question agricole. « La profonde transformation du commerce international ces dernières années conduit l’Union européenne à chercher à sécuriser ses approvisionnements et ses débouchés », explique Elvire Fabry, chercheuse senior à l’Institut Jacques-Delors, chargée de la géopolitique du commerce. Et notamment de la Chine, même si celle-ci n’est pas explicitement citée par l’UE. En témoigne par exemple l’accord avec le Chili, qui exportera des minerais stratégiques pour le numérique et la transition… en échange de notre production agricole (même si certains produits chiliens, comme les préparations à base de fruit, se verront faciliter l’accès au marché). Ou celui avec le Mercosur, qui est vu comme un débouché pour leurs filières industrielles par des pays dont l’Allemagne.

Aux yeux d’Elvire Fabry, en découle aussi un enjeu d’influence pour le continent : « L’accord avec la Nouvelle-Zélande s’est voulu un modèle en matière de développement durable, poursuit-elle. C’est une façon d’entraîner le reste du monde dans la transition, et d’en faire un atout compétitif pour l’Europe. Même s’il faut être conscient que l’on ira probablement moins loin sur le sujet avec des pays comme l’Inde ou le Brésil. »

► Quelles conséquences pour l’agriculture française ?

« À l’échelle globale, la mondialisation a plutôt été préjudiciable à l’agriculture française, juge Thierry Pouch, économiste pour les chambres d’agriculture. En vingt ans, nous sommes passés de 2e à 6e exportateur mondial. » Mais difficile d’y voir le seul rôle des traités de libre-échange. « Notre déficit commercial vient de nos échanges avec nos partenaires européens, explique Thierry Pouch. À l’inverse, l’essentiel de notre excédent provient de pays tiers. »

Le bilan doit surtout être dressé par filière : sur le plan mondial, les céréales françaises ont tiré depuis plusieurs décennies leur épingle du jeu, ainsi que les produits laitiers, le sucre, les spiritueux ou encore les animaux vivants. Certains traités sont ainsi extrêmement favorables à l’agriculture européenne : le Japon a par exemple ouvert ses étals au vin, à certains fromages ou au porc. « Le Ceta, dont beaucoup craignaient les effets, se trouve aussi plutôt favorable à l’agriculture européenne pour l’instant », souligne Thierry Pouch.

Mais d’autres filières ont été plutôt pénalisées par cette mondialisation, comme les viandes (volailles, ovins, bovins), mais aussi les fruits et fruits et légumes… « Dans ces filières déjà fragilisées, pour lesquelles nous ne sommes pas autosuffisants, des quotas d’importation même faibles peuvent contribuer à déstabiliser la filière », insiste l’économiste.

D’où les craintes, par exemple, sur le traité avec la Nouvelle-Zélande, qui prévoit l’importation vers l’Union européenne de 36 000 tonnes de viande ovine (soit l’équivalent de 45 % de la seule production française de 2022). Au-delà de la vision par filière, la Confédération paysanne critique plus globalement un système qui se fait au détriment des petites fermes, qu’elles soient en Europe… ou dans les pays du Sud.