D’abord AstraZeneca, puis Sanofi-GSK, Johnson & Johnson, Pfizer-BioNTech et enfin CureVac : depuis août, la Commission européenne a signé en cascade des accords d’achat anticipé de vaccins contre le Covid-19 avec les plus grands laboratoires pharmaceutiques du monde. Le jeudi 19 novembre, le Conseil européen, qui représente les États, doit faire une nouvelle fois le point sur les efforts déployés pour lutter contre la pandémie et poursuivre une réflexion déjà bien engagée sur la stratégie de vaccination en Europe.

Partant du postulat que « la solution permanente à [la] crise viendra très probablement de la mise au point et du déploiement d’un vaccin efficace et sûr contre le virus », l’exécutif européen s’est saisi de la question et a défini, dès la mi-juin, la stratégie de commande de vaccins pour l’ensemble de l’Union, afin de bénéficier au plus tôt de produits performants et accessibles au plus grand nombre.

Une manière d’effacer l’impression d’inaction qu’elle avait laissée au début de la pandémie. Selon la Commission, « chaque mois gagné dans le déploiement d’un vaccin sauvera de nombreuses vies, de nombreux emplois et plusieurs milliards d’euros ».

Miser sur plusieurs chevaux

Mais le défi est de taille : « Il faut en général plus de dix ans pour mettre au point un vaccin », rappelle la médecin Véronique Trillet-Lenoir, eurodéputée Renew Europe. Or face au Covid-19, il y a urgence. La Commission n’a donc pas tardé à approcher tous ceux qui sont susceptibles de trouver la formule de ce Graal tant espéré. Il s’agit de miser sur plusieurs chevaux, mais pas n’importe lesquels : la Commission a investi dans un portefeuille d’entreprises couvrant différentes technologies.

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« Certains vaccins sont fabriqués à partir du virus tué ou atténué, d’autres consistent à injecter seulement une partie du virus, soit une protéine, soit une fraction du génome du virus », explique Véronique Trillet-Lenoir. « La Commission européenne est ainsi à peu près assurée d’avoir un vaccin à la fin », estime Isabelle Marchais, qui traite de la santé pour l’Institut Jacques Delors.

Deux milliards de doses sécurisées

Au total, c’est quasiment deux milliards de doses que la Commission a sécurisées auprès des firmes pharmaceutiques (225 millions de doses avec l’allemand CureVac + éventuellement 180 millions ; 200 millions avec le germano-américain Pfizer-BioNTech + 100 millions ; 200 millions avec l’américain Johnson & Johnson + 200 millions ; jusqu’à 300 millions avec le franco-britannique Sanofi-GSK ; 300 millions avec le britannico-suédois AstraZeneca + 100 millions).

Avec l’américain Moderna, les pourparlers se poursuivent et un contrat devrait être signé sous peu. A sa tête, le Français Stéphane Bancel a prévenu les Européens que le prolongement des négociations risquait de ralentir les livraisons, d’autres pays étant prioritaires car ils ont signé depuis des mois.

Mais concernant les critères de sélection des entreprises, le prix de cette multitude de doses ou la localisation des sites de production, la Commission reste très discrète, invoquant le secret des affaires. « Outre la prise de risque financier, on peut se demander ce qu’il adviendra en cas de poursuites judiciaires contre d’éventuels effets secondaires à long terme, avérés ou non », avance Isabelle Marchais, tandis que Véronique Trillet-Lenoir s’interroge au sujet de la propriété intellectuelle de ces nouvelles substances.

Servir l’intérêt général européen

Fin octobre, à l’issue du dernier Conseil européen en date, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a promis que « les Etats membres recevront tous des vaccins en même temps et dans les mêmes conditions, en fonction de l’importance de leur population par rapport à la population totale de l’Union ».

« C’est probablement la solution la plus simple d’un point de vue logistique et politique », estime Véronique Trillet-Lenoir, qui note toutefois que « les besoins sont certainement plus importants dans les pays où le virus circule le plus, comme en France ou en Espagne, qu’en Finlande par exemple ». Chaque Etat devra définir sa « stratégie de vaccination », pour savoir qui vacciner en priorité (personnels de santé, plus de 60 ans, personnes atteintes de maladies chroniques, etc.).

« Les enjeux et les sommes sur la table sont énormes, et dans le domaine de la vaccination, il y a toujours le risque de faire des investissements à perte. C’est le prix à payer pour avoir un vaccin, conclut Isabelle Marchais. La Commission a décidé de servir l’intérêt général européen en allant au-devant des industriels : on ne pourra pas, cette fois, reprocher à l’Europe son inaction ».