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Entretenir la discussion ou couper la ligne? La poursuite du dialogue entre Macron et Poutine divise

Emmanuel Macron et Vladimir Poutine.

Emmanuel Macron et Vladimir Poutine. - GONZALO FUENTES, Mikhail Klimentyev / POOL / SPUTNIK / AFP

Malgré l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et la découverte de charniers sur le front, Emmanuel Macron continue à s'entretenir régulièrement avec son homologue du Kremlin et n'entend pas renoncer à ce dialogue. Une position qui ne fait pas l'unanimité à l'internationale et divise jusqu'au sein de son exécutif.

La question est épineuse mais la controverse qu'elle suscite, en France et dans le monde, ne l'embarrasse pas. En dépit de l'agression de l'Ukraine par la Russie, malgré la découverte du carnage de Boutcha - qu'il a lui-même qualifié de "crime de guerre" lundi - Emmanuel Macron a bien l'intention de continuer à parler avec Vladimir Poutine. Les deux hommes se sont d'ailleurs régulièrement entretenus par téléphone depuis le début de la guerre. Correspondance qui ne devrait donc pas s'interrompre de sitôt.

Mais le maintien du dialogue entre l'Élysée et le Kremlin par-dessus la guerre et ses charniers soulève de nombreuses questions au sein de la communauté internationale... et même quelques réserves au sein de l'exécutif français.

Macron "assume totalement" sa position

C'est un chapitre sur lequel le président de la République n'entend pas varier. Oui, il continuera à parler directement avec Vladimir Poutine, condition sine qua non selon lui pour aider à faire la paix entre la Russie et l'Ukraine. Invité mercredi soir du journal télévisé de TF1, Emmanuel Macron a ainsi asséné: "J'assume totalement d'avoir constamment, au nom de la France, parlé au président de la Russie pour éviter la guerre et construire une nouvelle architecture de paix en Europe il y a plusieurs années."

"Je pense que c'est mon devoir, c'est sans complaisance et sans naïveté", a-t-il ajouté.

Nécessité de contribuer à une "désescalade" dans la crise, déploiement d'opérations humanitaires à destination des populations civiles comme à Marioupol: les sujets de conversation ne manquent pas entre les deux chefs d'État.

L'attitude d'Emmanuel Macron tranche cependant avec celle de certains de ses collègues internationaux. Tandis que le président des Etats-Unis, Joe Biden, a traité Vladimir Poutine de "boucher" - laissant peu d'espace à un échange direct -, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki est allé un cran plus loin, en s'en prenant frontalement au Français. Au cours d'une conférence de presse tenue lundi, il a ainsi lâché:

"Personne ne doit négocier avec les criminels, il faut les combattre. Personne n'a négocié avec Hitler. Iriez-vous négocier avec Hitler, Staline, Pol Pot?"

C'est d'ailleurs à cette interpellation qu'Emmanuel Macron a réagi sur le plateau de la première chaîne, le chef de l'État dénonçant des "propos à la fois infondés et scandaleux".

"Trois raisons" pour un dialogue

Pour Cyrille Bret, chercheur associé à l'institut Jacques Delors, expert des relations entre la Russie et l'Union européenne, la position d'Emmanuel Macron est de toute façon la seule à adopter dans les circonstances.

"Pour le coup, on lui fait un mauvais procès. Ce n'est pas du tout trahir les Ukrainiens que de continuer à discuter avec Vladimir Poutine. Après tout, c'est même ce que Volodymyr Zelensky réclame", note-t-il ce jeudi auprès de BFMTV.com.

L'expert en géopolitique considère même qu'il est "indispensable de maintenir ces canaux de discussion" et ce, "pour trois raisons", qu'il liste aussitôt. Tout d'abord, il juge la pratique conforme "à la tradition diplomatique de la France qui ne reconnaît que des États et pas des gouvernements". En d'autres termes, la couleur du régime importe peu - ou pas -, les relations entre les institutions doivent se dérouler en bonne intelligence au nom d'un bien commun aux deux nations.

Dialogue ne vaut pas caution

Une analyse qui entraîne un enseignement quant à la question des carnages commis en Ukraine "qui ne peut être occultée" comme le souligne le chercheur associé à l'Institut Delors.

"Dialoguer avec Poutine, ce n'est pas cautionner sa politique étrangère, ni ses crimes de guerre".

D'autant moins si l'on examine la seconde vertu que le spécialiste prête à ces coups de fil entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine: "Il faudra bien des garants au traité de paix qui arrivera, j'espère, le plus tôt possible. Et la France aura un rôle très important dans ces discussions pour défendre les intérêts des Ukrainiens".

Le troisième bénéfice découle d'ailleurs naturellement de ce rôle crucial. "Les relations franco-russes constatent les divergences, les points d'acchopement sans rompre. La France est quasiment la seule en Europe à être à la fois dans la critique vis-à-vis de la Russie et dans la discussion", signale Cyrille Bret qui sourit:

"On n'a pas beaucoup d'actifs mais on a celui-ci: on continue de parler avec tout le monde".

Mettre à profit une vieille relation

Précieuse singularité française donc. "Je ne vois pas qui d'autre pourrait avoir cette relation avec la Russie", confirme Sylvie Bermann, diplomate et ex-ambassadrice de France à Moscou (entre 2017 et 2019), qui poursuit auprès de nous: "Une relation, ça se construit dans le temps. Or, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine en ont établi depuis longtemps. On se souvient de la visite à Versailles, de la rencontre au Fort de Brégançon. Ça n'a pas été facile au début mais ça a permis d'établir un discours de vérité".

Un "discours de vérité" qui revêt aujourd'hui une dimension cardinale selon la diplomate: "Depuis l'enfermement idéologique de Vladimir Poutine, qu'Emmanuel Macron a noté quand il s'est rendu à Moscou, il est devenu plus difficile de lui parler. Mais l'ancienneté de leurs relations permet de maintenir ce dialogue, et il s'agit pour Emmanuel Macron de faire prendre conscience à Vladimir Poutine de la réalité en Ukraine".

"Vladimir Poutine vit un peu dans son monde et les rapports fournis par le FSB le ménagent".

L'armée en toile de fond

On peut se demander toutefois pourquoi Vladimir Poutine accorderait son crédit à la parole du président français plutôt qu'à ses services de renseignement. Et plus largement, l'influence diplomatique et géopolitique de la France intrigue tant le contraste paraît grand avec sa puissance militaire. Certes, celle-ci s'impose comme l'une des principales en Europe mais sans commune mesure avec les forces de frappe américaine, russe ou chinoise dont on imagine mieux qu'elles aient de quoi se faire écouter.

"Notre appareil militaire inspire le respect car il obtient des résultats", corrige Cyrille Bret.

"La Russie respecte cette armée qui sait faire la guerre, remporter des victoires, encaisser les défaites, ça nous donne un statut, et c'est essentiel à notre crédit".

Réserves au sein du gouvernement

On pourrait croire Florence Parly, ministre des Armées, bien placée pour le savoir. Pourtant, d'après le dernier numéro du Canard enchaîné, celle-ci a exprimé sa réserve quant à l'opportunité de maintenir le dialogue avec Moscou. Mercredi dernier, lors d'une réunion du comité pilotant la campagne du sortant organisée au QG de la rue du Rocher dans le VIIIe arrondissement parisien, elle s'est écriée:

"Il faut moins de coups de fil à Poutine".

En contradiction non seulement avec le choix de l'Élysée donc mais aussi avec les déclarations du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, au Forum de Doha le 27 mars dernier:

"Il faut continuer de parler avec les Russes. Il faut continuer de parler avec le président Poutine. Il faut être dans l'exigence du dialogue, dans sa clarté, sans aucune naïveté, avec beaucoup de fermeté, mais continuer à lui parler pour qu'à un moment donné il considère que le prix à payer pour son intervention en Ukraine est tellement élevé qu'il vaut mieux négocier".

L'appel de Florence Parly semble donc avoir été lancée en pure perte. Il serait même contreproductif, d'après Cyrille Bret. "L'intérêt de l'Ukraine et de ses civils c'est qu'il n'y ait pas de dissension en France et en Europe", fait valoir le chercheur qui avertit cependant: "La parole française se décrédibilisera si elle ne parvient pas à obtenir des résultats".

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV