BFM Business
International

Pourquoi le G20 en Indonésie s'annonce sous haute tension

Etats-Unis-Chine, guerre des puces, tensions avec l’UE... Alors que les protagonistes du conflit en Ukraine seront absents, la réunion économique recèle cette année de multiples tensions diplomatiques.

Le club économique a des allures d'arène politique. L'Indonésie et son président Joko Widodo tiennent cette semaine la nouvelle édition du G20, dans un lourd climat géopolitique. Au-delà des divergences économiques - les pays les plus riches combattent par exemple l'inflation quand les moins puissants (Afrique du Sud, Indonésie) sont engagés dans une lutte contre le poids de la dette - ce sommet offre un contexte liant de façon étriquée les enjeux économiques et les rivalités politiques.

Au centre des débats, l'invasion de l'Ukraine sera en partie un non-sujet, du fait de l'absence de son principal responsable, Vladimir Poutine. Certainement échauffé par l'accueil glacé reçu en 2014 au G20 après son invasion de l'Ukraine, le dirigeant russe n'a pas fait le déplacement. Ce, alors que le conflit nourrit l'explosion des prix, le dérèglement des chaînes de valeur et l'étranglement des économies moins développées via les pénuries alimentaires.

De quoi empoisonner les discussions. L'Inde et la Chine n'ont pas officiellement affiché leur rejet de l'opération russe en Ukraine, et les Occidentaux leur réclament des comptes: Emmanuel Macron, qui discutera avec Poutine juste après le sommet, a rappelé lundi qu'il voulait que la Chine "fasse pression" sur Moscou. La Turquie, intermédiaire privilégié du Kremlin dans le contournement des sanctions, arrive aussi à Bali auréolée de son rôle déterminant dans le déblocage des flux commerciaux et agricoles en mer Noire. Et par-delà l'ombre portée de la guerre en Ukraine, les tensions ont rarement été aussi vives ces dernières années, entre dissenssions commerciales et enjeux de souveraineté.

La Chine et les Etats-Unis, premier tête-à-tête

Le premier terrain d'affrontement oppose évidemment la Chine et les Etats-Unis. Les deux géants traversent une période de rivalité accrue, et la presse américaine soulignait ce week-end l'importance de ce G20 dans l'évolution de leurs relations. "Il s'agit en quelque sorte du premier sommet des superpuissances de la guerre froide version 2.0", soulignait l'ex-conseiller d'Obama Evan S. Medeiros dans le New York Times.

Joe Biden et Xi Jinping se sont ainsi rencontrés ce lundi officiellement pour la première fois depuis le début de la pandémie: alors que les deux hommes se connaissent depuis 2017, le président américain n'avait jamais reçu le dirigeant chinois depuis sa prise de fonction. L'heure était donc aux formules de politesse: Joe Biden a dit vouloir "gérer les différences et éviter que la compétition se transforme en conflit", quand Xi Jinping a indiqué espérer un dialogue "sincère" pour "trouver la bonne direction". Des déclarations qui rejoignent la communication officielle chinoise avant l'arrivée de Xi à Bali.

"Nous espérons que les Etats-Unis se joindront à la Chine afin de gérer de façon appropriée nos divergences, promouvoir une coopération mutuellement bénéfique", avait estimé Mao Ning, une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

Sur le plan politique, les deux superpuissances s'opposent sur la question de la reconnaissance de l'invasion russe - Pékin ne se montre pas ferme sur le sujet -, sur le respect des droits humains dans le Xinjiang et sur le juste encadrement des velléités de puissance nord-coréennes.

Guerres des puces à Taïwan

Mais les rivalités politiques se sont aussi déportées sur le volet économique: les deux économies évoluent vers une souveraineté accrue dans le domaine des semi-conducteurs, au point que nombre d'observateurs voient dans la production de ces puces, essentielles au développement technologique, la source de futurs conflits mondiaux.

Dans un livre récent, le chercheur américain de la Tufts University Chris Miller suggérait par exemple que les semi-conducteurs joueraient le même rôle que l'acier ou le nucléaire pendant la Seconde Guerre Mondiale et la Guerre Froide. Dans le même temps, la Russie se signalait par sa recherche effrenée de vieilles puces sur les théâtres de conflit ukrainiens, pour entretenir sa flotte militaire et contourner les embargos.

Washington s'est montré particulièrement agressif cette année sur le sujet des puces. A l'été, l'administration américaine investissait 52 milliards de dollars (sans compter diverses incitations) pour encourager la production de puces made in USA, raflant une majorité confortable pour la mesure au Congrès; à l'automne, elle promulguait de nouvelles limites à l'exportation de matériaux critiques vers la Chine. Avec un objectif clair.

"Les contrôles à l'exportation doivent restreindre la capacité de la Chine à obtenir des puces informatiques, à développer et à entretenir des superordinateurs, et à fabriquer des semi-conducteurs avancés de pointe".

Difficile de démêler les enjeux militaires des enjeux économiques: le marché des puces pèse 530 milliards de dollars et pourrait tripler d'ici 2030. Mais l'élaboration de puissances de calcul sert aussi au renforcement des arsenals militaires nationaux. Surtout, la Chine envisage une porte de sortie à ces tensions sur les approvisionnements: Taïwan. L'île, via sa compagnie Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), pèse 53% du marché des puces en 2022.

La visite en août de Nancy Pelosi, speaker de la Chambre des Représentants américaine, en terre taïwanaise, avait ravivé les tensions, permettant au PCC de rappeler que l'île, en vertu de sa théorie "d'une seule Chine", lui appartenait.

Il n'y a qu'une seule Chine dans le monde, Taïwan est une partie inaliénable du territoire chinois, et le gouvernement de la République populaire de Chine est le seul gouvernement légal représentant l'ensemble de la Chine."

Les tensions sur les puces, en plus d'être l'énième épisode de la rivalité commerciale en cours entre les deux premières puissances mondiales, promettent donc des conséquences politiques à terme. D'où l'importance, et la teinte inhabituellement stratégique, de la discussion Biden-Xi lors de ce G20.

"Découplage" et rivalités occidentales

Troisième pôle économique majeur, l'Europe se retrouve engluée dans les tensions entre Pékin et Washington. Contenue entre les tentations de repli de la Chine et le retour du protectionnisme stratégique américain, elle se fait la dernière défenseuse du multilatéralisme. Une position d'autant plus difficile à tenir face à la progression continue de l'inflation et au ralentisssement attendu de son économie.

Au coeur des discussions probables de ce G20, l'énergie et la lutte contre l'inflation aux Etats-Unis devrait revenir: les Européens ont mal vécu les investissements américains via l'Inflation Reduction Act, qui promet des milliards d'incitations fiscales aux entreprises énergétiques s'implantant en territoire américain. Bruno Le Maire a par exemple dénoncé sur BFM Business la concurrence déloyale de ce plan, alors que l'Europe tente d'attirer des fabricants de batteries, ou encore de véhicules électriques.

Face à la concurrence, les Etats-membres pourraient être sommés de faire cavalier seul: l'Allemagne, déjà tancée pour son plan énergie de 200 milliards d'euros, que les autres membres de la zone Euro ont perçu comme une menace pour sa cohésion budgétaire et économique, s'est par exemple montrée très entreprenante vis-à-vis de la Chine récemment. Début novembre, pour ce qui était le premier déplacement d'un dirigeant européen en Chine depuis le début de la pandémie, Olaf Scholz a affirmé vouloir "développer davantage" la coopération économique avec Pékin.

Berlin craint un "découplage" chinois, par lequel Pékin se rendrait indépendant des autres économies en se renforçant sur des secteurs industriels clés. Dans une note récente, l'Institut Jacques Delors expliquait que le découplage des économies américaines et chinoises, et l'isolement de cette dernière, auraient "un impact direct sur les entreprises européennes", en les forçant à jouer sur deux tableaux. Elle préconisait de renforcer les normes européennes, et de maintenir le contact.

La limitation des déplacements qui réduit les rencontres physiques avec les partenaires chinois, crée un découplage additionnel de « perceptions » et « d’opinions réciproques », préjudiciable pour le développement des affaires des entreprises européennes en Chine", soulignait Elivre Fabry, autrice de la note.

Ce G20 indonésien devrait être l'occasion d'entretiens bilatéraux sur ces questions. Particularité saillante de ce type de réunions (c'est aussi le cas du G7), le Vieux Continent sera représenté à la fois par certains de ses membres (Allemagne, France, Italie, Espagne) et par les institutions continentales elles-mêmes (Commission et Conseil Européen). De quoi, peut-être, pousser à une harmonie des discours.

Valentin Grille