BFM Business
Union européenne

Qu’est-ce que l’accord entre l’UE et le Mercosur auquel s’opposent les agriculteurs?

Rejeté par les agriculteurs français et européens, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur prévoit la baisse ou la suppression de droits de douane sur plusieurs produits alimentaires.

Alors que la mobilisation des agriculteurs se poursuit ce mercredi 31 janvier, le gouvernement français veut rester ferme sur la question de l’accord entre l’Union européenne et Mercosur.

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire l’a confirmé ce mercredi: la France est prête à s’engager dans un "bras de fer" lors des négociations à Bruxelles. Le but: que cet accord "tel qu'il est aujourd'hui ne soit pas signé" car "tel qu'il est, il n'est pas bon pour nos éleveurs", a-t-il justifié.

Si elle met à mal le projet de la Commission européenne, dont des négociateurs étaient en déplacement au Brésil la semaine dernière pour avancer sur ce dossier, la position du gouvernement français va dans le sens des revendications portées par les agriculteurs depuis plusieurs semaines. En effet, ces derniers dénoncent une "concurrence déloyale", qui viendrait s’ajouter aux importations ukrainiennes, les rendrait moins compétitifs et les affaiblirait sur le marché européen. Mais que contient ce projet d’accord exactement et pourquoi est-il autant pointé du doigt par le secteur agricole?

• Qu’est-ce que cet accord?

Il s’agit d’un projet d’accord de libre-échange entre le Marché commun du Sud (Mercosur) et l’Union européenne. Les négociations sur ce texte ont débuté il y a près d'un quart de siècle, en 2000, entre l'UE et les quatre pays fondateurs du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Un accord politique avait été conclu en 2019, mais l'opposition de plusieurs pays, dont la France, a bloqué son adoption définitive, en raison, entre autres, de nouvelles conditions dans le domaine de la protection de l'environnement.

"Depuis la fin des négociations en juin 2019, plusieurs gouvernements européens ont signalé leur opposition à l'accord en l'état notamment les Pays-Bas, l'Autriche, l'Allemagne, l'Irlande, la France, la Wallonie et la région de Bruxelles-Capitale. D'autres gouvernements, qui ne se sont pas directement opposés à l'accord, ont émis de fortes réserves dont la Slovaquie, la Bulgarie, la Lituanie, le Luxembourg et la Roumanie", précise le site Viepublique.fr.

• Quel est l’objectif de cet accord?

C’est un des deux objectifs de l’accord entre l’UE et le Mercosur. En plus de "promouvoir un dialogue politique entre les deux alliances", la signature de cet accord vise à "encourager et accroître les relations commerciales entre les deux marchés en abaissant les barrières tarifaires et non tarifaires", indique le site Viepublique.fr.

Autrement dit, il s’agit de réduire ou de supprimer pour certains produits les droits de douane. Ces taxes à payer lorsqu’un produit importé entre dans un pays représentent une barrière tarifaire qui vise à limiter l’importation de certains biens. La baisse ou la suppression viserait donc à lever en partie ces barrières pour rendre les produits sud-américains plus attractifs pour les pays d’Union européenne et ainsi encourager les échanges commerciaux entre les deux régions du monde. En contrepartie, les produits européens seront eux aussi exportés moins cher sur les territoires d’Amérique du sud. Il permettrait à la France de vendre davantage de vin ou de spiritueux au Brésil ou en Argentine, à l’Allemagne d’y exporter plus de voitures.

• Que prévoit-il concrètement?

C’est principalement l’axe alimentaire de l’accord qui est aujourd’hui remis en cause. Concrètement, le projet d’accord de 2019 prévoit la mise en place de quotas d’importation sur certaines denrées alimentaires. Ils correspondent à une certaine quantité de produits sud-américains qui pourront être exportés en Europe sans être soumis à des droits de douane.

Cette quantité est fixée à 180.000 tonnes pour le sucre, 60.000 tonnes de riz, 100.000 tonnes pour les volailles, 99.000 tonnes pour le bœuf, 25.000 tonnes de viande porcine.

En contrepartie, les pays européens pourront aussi exporter des produits sans taxes. "Le Mercosur libéralisera une série d’autres produits clés revêtant un intérêt pour les exportations de l’UE: les vins (avec un prix minimal pour les vins mousseux les 12 premières années et l’exclusion réciproque du vin en vrac), les spiritueux, l’huile d’olive, les fruits frais (pommes, poires, nectarines, prunes et kiwis à l’entrée en vigueur), les pêches en conserve, les tomates en conserve, le malt, les pommes de terre surgelées, la viande de porc, les chocolats, les biscuits secs, les boissons non alcoolisées", peut-on lire dans le texte de 2019. Tandis que le fromage, les poudres de lait et les préparations pour nourrissons seront aussi soumis à des quotas.

Sur le plan industriel, l’accord prévoit aussi la suppression progressive des droits de douane du Mercosur sur les voitures (35%), les pièces détachées (14 à 18%), les équipements industriels (14 à 20%), la chimie (jusqu’à 18%), l’habillement (jusqu’à 35%) ou les produits pharmaceutiques (jusqu’à 14%).

Christiane Lambert, présidente du COPA - 31/01
Christiane Lambert, présidente du COPA - 31/01
12:33

• Pourquoi les agriculteurs sont contre

Avec la levée de ces droits de douane, de nombreux produits alimentaires sud-américains vont arriver sur le marché européen. Or les agriculteurs européens et français sont soumis à des normes plus strictes que les cultivateurs et éleveurs sud-américains, notamment en matière de protection de l’environnement.

C’est ce qui fait craindre l’arrivée sur le marché français et européen d’"une concurrence déloyale". Parmi les différences réglementaires qui pourraient jouer en la défaveur des agriculteurs français et en particulier des éleveurs, on retrouve l’usage des antibiotiques comme facteurs de croissance chez les animaux d’élevage. Interdite dans l’UE depuis 2006, cette pratique est autorisée dans les pays membres du Mercosur.

"Qu’y a-t-il de "durable" à mettre en péril nos élevages paysans, majoritairement nourris à l’herbe, en abaissant les droits de douane sur l’importation de 99.000 tonnes de viande bovine issus d’animaux entassés dans des feedlots (des parcs en plein air pour l'engraissement intensif des bovins, ndlr)", s’interrogeait la Confédération paysanne en 2019.

"À quoi bon demander en France et en Europe une montée en gamme en termes de qualité et de respect de l’environnement si c’est pour importer des produits contraires à cet effort", se demandait aussi le syndicat Jeunes Agriculteurs.

C’est ce qui avait poussé Emmanuel Macron à exiger le respect des normes sanitaires et environnementales comme base de futures négociations. "Cet accord est bon à ce stade, il va dans la bonne direction mais nous serons très vigilants", avait-il déclaré en juin 2019.

Même dans l’hypothèse d’ajustements de l’accord qui garantiraient l’application de certaines normes aux produits importés sud-américains, la question du manque de traçabilité, dans des pays comme le Brésil, laisse craindre des entraves à leur respect.

• Quel avenir pour cet accord?

Le prochain cycle de négociations "dépend de l'analyse qu'on va faire, et il est prématuré d'annoncer la prochaine date, si nouvelle date il y a, de la prochaine négociation", a souligné la Commission.

L'enjeu de cet accord de libre-échange est considéré comme essentiel par plusieurs capitales européennes, dont Berlin. Et les manifestations des agriculteurs allemands n'ont pas changé cette position, selon un diplomate européen.

"Une majorité de pays de l'UE sont en faveur de cet accord", rappelle de son côté Elvire Fabry, experte auprès de l'Institut Jacques Delors.

Et dans le contexte de l'affrontement Chine-USA, nombreux sont les pays à la recherche d'une diversification de leurs échanges, souligne-t-elle.

L'accord Mercosur a aussi un enjeu géopolitique important, utile par exemple pour sécuriser l'approvisionnement de certains minerais critiques, le lithium au Brésil, souligne-t-elle. Reste que "la probabilité qu'un accord soit signé avant les élections au Parlement européen" début juin "est extrêmement faible", juge André Sapir, expert auprès de l'Institut Bruegel.

L'accord une fois conclu par la Commission doit être approuvé par le Parlement européen et par les 27, à la majorité qualifiée. La France peut théoriquement être contournée lors du vote des 27, mais son "poids politique" rend la chose très improbable, renchérit Elvire Fabry.

Nina Le Clerre