Bientôt la fin du groupe de Visegrad ? « S’il y a un tournant,pour moi, c’est le déclenchement de la guerre en Ukraine », estime Jacques Rupnik, professeur à Sciences Po et spécialiste de l’Europe centrale. Depuis le 24 février 2022, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque sont en désaccord sur leur soutien à Kiev.

En amont du prochain Conseil européen le 2 février, le « V4 » diverge sérieusement sur le paquet d’aide européen de 50 milliards d’euros à l’ordre du jour, la Hongrie de Viktor Orban s’opposant à ce versement. Plus largement, la relation étroite qu’entretient Budapest avec le Kremlin fait grincer des dents au sein du groupe. Samedi 13 janvier, le premier ministre tchèque, Petr Fiala, actuellement à la tête de la présidence tournante du groupe, a affirmé qu’aucune réunion entre les premiers ministres « n’a eu lieu récemment ».

« Je considère que c’est logique, dans le contexte de ce qui se passe, de la manière dont les négociations au Conseil européen se déroulent », a-t-il ajouté. Lukas Macek, responsable du centre Grande Europe de l’Institut Jacques-Delors, relativise : « Ces tensions au sein de Visegrad n’ont rien d’inhabituel. »

Un groupe méconnu jusqu’en 2015

Le groupe de Visegrad est créé en 1991, à l’initiative de Vaclav Havel, président de la République fédérale tchèque et slovaque de l’époque. L’objectif de cette coopération : faciliter l’adhésion des membres à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), ainsi qu’à l’Union européenne, qu’ils intégreront en 2004. Mais c’est à partir de 2015 que le groupe se fait connaître sur la scène internationale. Au cours de cette période, les quatre membres vont faire front commun contre l’arrivée massive de migrants syriens.

Néanmoins, chaque pays « fait attention à ne pas s’enfermer dans ce groupe », explique Lukas Macek. Dernier exemple en date, l’intérêt du nouveau ministre des affaires étrangères français, Stéphane Séjourné, pour le triangle de Weimar, une coopération qui regroupe la France, l’Allemagne et la Pologne. De son côté, Viktor Orban est l’un des seuls à rêver d’un leadership sur le groupe et de faire de Visegrad «un axe de révolution culturelle conservatrice », selon ses propres termes. « Dès qu’un des quatre pays souhaite se positionner en contrepoids de l’Union européenne, ça fragilise la coopération », analyse Lukas Macek.

Des membres en proie à des tensions politiques

Dernièrement, le rêve de Viktor Orban s’est encore plus éloigné avec l’arrivée du pro-européen Donald Tusk à la tête du gouvernement polonais. Ce dernier souhaite faire respecter à nouveau l’état de droit dans son pays et renouer des liens forts avec l’Union européenne.

Si le premier ministre hongrois a gagné un allié avec la victoire du Slovaque Robert Fico aux dernières législatives, il en a perdu un plus gros, avec la Pologne et ses 40 millions d’habitants. «Les élections législatives en Slovaquie et en Pologne ont bouleversé le groupe. Robert Fico souhaite reprendre en main la justice, alors qu’en Pologne on assiste à une tentative difficile de démanteler le bilan d’un régime illibéral », constate Jacques Rupnik.

Le premier ministre slovaque a aussi annoncé lors de sa campagne ne plus vouloir aider l’Ukraine. Les relations au sein du groupe de Visegrad évoluent en fonction des alternances politiques internes de ses membres. Chaque élection est donc observée à la loupe par Viktor Orban.

Une coopération avant tout régionale

Pour le spécialiste de l’Europe centrale, « si ces divergences fragilisent la coopération politique, notamment sur le plan européen, ça ne veut pas dire que rien n’est fait dans le cadre de Visegrad. Il y a notamment la coopération régionale ». Elle a pour objectif de faciliter le dialogue entre les populations et d’encourager les échanges culturels.

La coopération est aussi d’ordre économique. En 2000, les quatre membres ont décidé de créer un fonds international de Visegrad, basé à Bratislava. Avec un budget annuel de 8 millions d’euros, il favorise la coopération transfrontalière, en proposant notamment des bourses scolaires. Le budget a même été augmenté à 10 millions d’euros alloués à des centaines de projets de coopération et de programmes de mobilité en 2023.