► « Il y a certainement un vide juridique à combler »

Yves Pascouau, chercheur à l’Institut Jacques-Delors, expert des migrations

Il n’existe pas aujourd’hui de « réfugié climatique » au sens juridique du terme, même si la formulation revient régulièrement dans les débats. La convention de Genève de 1951, marquée par le contexte de sa création à l’après-guerre, donne droit à une protection internationale en cas de guerre, de persécution religieuse ou politique. Cela n’arrangerait pas tout de créer un statut dédié, car pour obtenir une protection internationale il faut franchir une frontière. Or, comme le mesure bien l’étude, les personnes frappées par des catastrophes climatiques sont en majorité des déplacés internes. Ce cas de figure relève de la protection civile, et donc de la souveraineté des États. Une piste intéressante pour eux pourrait consister à renforcer les coopérations internationales, à l’image du mécanisme européen de sécurité civile qui peut à la fois intervenir dans l’Union européenne, et si besoin en dehors.

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Néanmoins, il y a certainement un vide juridique à combler pour mieux protéger les déplacés climatiques. Je vois au moins deux cadres où la réflexion a lieu. À partir de 2012, sous l’impulsion des gouvernements suisse et norvégien, l’agenda de protection Nansen a été lancé. Il s’agit d’un ensemble d’engagements que 110 États (dont la France) ont approuvé en 2015 : couvrir les besoins essentiels, ne pas séparer les familles…

L’autre option est de faire évoluer l’interprétation des textes existants. La convention de Genève, par exemple, prévoit une protection de manière très large, en cas de menace pour un « groupe social spécifique ». On pourrait considérer que les réfugiés climatiques entrent dans cette catégorie, comme le suggère une jurisprudence néo-zélandaise. Il faut toutefois bien reconnaître qu’il n’y a pas de débat politique de fond sur cette question.

Imaginons tout de même que le point arrive à l’agenda. Il faudra démêler les innombrables situations dans lesquelles l’environnement est impliqué. Les réfugiés climatiques resteront quoi qu’il arrive une catégorie difficile à identifier. Lorsqu’un conflit éclate en raison de l’accès à l’eau, quel élément prendra-t-on en compte ? Un agriculteur ou un éleveur qui perd ses ressources en raison de la désertification pourra-t-il prétendre à une protection internationale, ou sera-t-il considéré comme un migrant économique ? Tout reste à penser.

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Il me semble enfin qu’on ne peut pas mettre tous les phénomènes climatiques sur le même plan. La grande majorité des victimes d’un ouragan, par exemple, voudra revenir chez elle une fois la catastrophe passée. Ce n’est pas la même temporalité que pour les habitants de l’archipel de Tuvalu menacé par la montée des eaux, en Polynésie. Pour cette catégorie de population, le déplacement, inéluctable, peut s’anticiper, se prévoir, et même se planifier. Le raisonnement est encore différent dans la Corne de l’Afrique, où les Nations unies appellent à lutter contre la sécheresse et la malnutrition. Cela appelle plutôt une aide humanitaire et de développement.

► « Nous avons besoin d’accords internationaux adaptés à chaque pays »

Alex Randall, directeur du programme de plaidoyer pour la Climate and Migration Coalition, à Oxford

Face à l’augmentation du nombre de réfugiés climatiques, ce n’est pas d’un nouveau statut ou d’une autre convention internationale dont nous avons besoin. Bien sûr, l’idée est belle. Les gens ont souvent une vision simpliste des réfugiés climatiques, comme s’il existait une relation directe entre le climat et les personnes qui doivent fuir. Si vous suivez ce raisonnement jusqu’au bout, vous aboutirez à des solutions trop simplistes, comme s’il existait un papier que tous les pays signent et le problème est résolu.

Il est important de comprendre comment le changement climatique modifie la mobilité humaine. Si les catastrophes naturelles se multiplient, les gens seront plus nombreux à se déplacer. Néanmoins, il est presque impossible d’identifier les raisons exactes pour lesquelles quelqu’un fuit, car celles-ci sont toujours multiples : au changement climatique s’ajoutent des facteurs politiques et sociaux, et des facteurs liés aux droits de l’homme.

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Supposons que nous pouvons établir une convention internationale créant un statut de « réfugié climatique ». Comment les migrants traversant les frontières internationales pourront-ils prouver qu’ils sont des réfugiés climatiques ? Surtout s’ils viennent de pays dans lesquels les extrêmes climatiques comme les sécheresses (par exemple) ont toujours existé. On pourrait les refuser bien trop facilement.

La seule façon de créer une protection légale pour les migrants climatiques est de créer une meilleure protection pour tous les migrants et réfugiés. Un autre point : nous parlons presque exclusivement des réfugiés climatiques qui traversent les frontières internationales. Mais le plus grand nombre de réfugiés sont nationaux, ce sont des personnes qui doivent quitter leur foyer mais qui restent à l’intérieur des frontières de leur pays d’origine. Ce qui ne signifie pas qu’ils sont en sécurité et que leurs droits humains sont protégés. Au contraire, ils subissent les mêmes situations extrêmes que les réfugiés qui traversent les frontières. Comment va-t-on s’assurer que ces personnes sont en sécurité ? C’est de cela qu’il faut parler, pas d’un statut international. Pour cela, nous avons besoin d’accords internationaux adaptés à chaque pays.

La dernière pièce du puzzle pour trouver une solution diversifiée à la migration climatique est de modifier notre compréhension de celle-ci, en particulier lorsqu’il s’agit d’aider les réfugiés. Jusqu’à présent, nous avons essayé de garder les gens là où ils sont, mais à mon avis, nous devrions encourager les gens à quitter des espaces invivables. Offrir des voyages sûrs, des logements sûrs et des emplois sûrs. Mais cela signifierait que nous repensions le fonctionnement de nos économies et de nos sociétés. Ce qui n’est pas une solution miracle, mais plutôt le contraire.

(1) Selon l’étude de l’Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC) et du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) publiée ce jeudi.