À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Le 20 mars 2020, dans une Europe confinée, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçait la suspension du pacte de stabilité et de croissance. Une première. Les gouvernements pouvaient donc dépenser « quoi qu’il en coûte ». Au nom du sauvetage de l’économie, Bruxelles mettait en sommeil les fameuses règles qui stipulent que le déficit public et la dette d’un État membre ne doivent pas dépasser respectivement 3 % et 60 % du produit intérieur brut (PIB).

La suspension du pacte de stabilité et de croissance doit prendre fin le 31 décembre. Les ministres des finances des États membres doivent se retrouver à Bruxelles, jeudi 7 et vendredi 8 décembre, pour en négocier un nouveau. Dès lors, une question émerge :est-il bien nécessaire de rétablir des règles après plus de trois ans de suspension ? Sont-elles utiles ?

« Elles sont indispensables, répondl’économiste Pierre Jaillet, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et à l’Institut Jacques-Delors. N’oublions pas qu’il n’y a pas de politique budgétaire fédérale au sein de la zone euro ; il est donc nécessaire, pour assurer la viabilité et la pérennité de l’union économique et monétaire, de coordonner les trajectoires budgétaires des 20 États de la zone euro. »

Un pacte plus souple

Le nouveau pacte réformé a été proposé par la Commission européenne. Imaginé en 1997, le cadre budgétaire en vigueur jusqu’en 2020 était jugé obsolète à plus d’un titre. Certains États, dont la France, n’ont que très peu respecté les objectifs de déficit. Et les sanctions prévues en réaction, trop lourdes, n’ont jamaisété mises en œuvre. Par ailleurs, le texte n’était pas adapté pour répondre aux enjeux de financement de la transition écologique, qui sont apparus depuis.

Cette réforme ne touchera pas aux règles de 3 % et 60 % qui sont inscrites dans des traités difficiles à remettre en cause. Mais elle vise à introduire davantage de souplesse. Car si ces objectifs n’ont pas été tenus, ils ont tout de même marqué la politique des États.

« L’investissement public a été entravé en Europe, affirme Francesco Saraceno, directeur adjoint du département des études à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Après la crise de 2008, nous avons déployé une politique d’austérité, là où les États-Unis investissaient massivement. Après la crise européenne des dettes souveraines en 2010, le resserrement budgétaire mené sous la houlette de l’Allemagne a étouffé la reprise. »

Une réforme, mais pas une révolution

Est-ce à dire que les États européens avec ce nouveau pacte s’apprêtent à renverser la table ? Pas tout à fait… « Si la proposition de la Commission est appliquée en l’état, cela permettra aux pays d’investir davantage pour la transition écologique, mais cela restera insuffisant, résume Andreas Eisl, chercheur à l’Institut Jacques-Delors. Cette réforme est un pas en avant, mais elle ne change pas fondamentalement l’approche. »

Concrètement, pour chaque État membre qui ne respecte pas l’un des critèresde Maastricht, la Commission publierait une « trajectoire descendante plausible » pour la dette, sur quatre ans. Trajectoire que les gouvernements devront intégrer dans leur plan. Un délai supplémentaire de trois ans pourra être accordé, à condition que les pays se lancent dans des réformes structurelles et mènent des « investissements stratégiques ».

Si un État ne respecte pas ses engagements, il pourra toujours faire l’objet d’une procédure pour « déficit excessif » et se retrouver sous le coup de sanctions. Moins lourdes que celles prévues par le pacte actuel, elles devraient être plus faciles à mettre en œuvre.

Désaccord entre Paris et Berlin

L’Allemagne critique cette approche. Berlin n’est en effet pas favorable à l’idée de définir des trajectoires au cas par cas. « Les Allemands craignent que ce système d’accord bilatéral entre les États et la Commission confère trop de marge de manœuvre à cette dernière », analyse Andreas Eisl.

Pour l’économiste David Cayla, la Commissiona entre les mains un « puissant levier ». « C’est problématique, car elle juge en technicienne et peu en politique. Elle va définir la trajectoire budgétaire d’un État en évaluant la croissance structurelle selon ses propres calculs. Elle va ainsi pouvoir faire pression sur les États », assure le chercheur du laboratoire Granem de l’université d’Angers.

L’Allemagne souhaite par ailleurs qu’un pays qui fait l’objet d’une procédure de déficit excessif – la France pourrait être concernée –ne bénéficie d’aucune souplesse. Et ce, même s’il investit dans la défense ou la transition écologique. Paris ne l’entend pas de cette façon. Les deux voisins parviendront-ils à se mettre d’accord ?