Macron à la Sorbonne : quelle « nouvelle feuille de route » pour l’Union européenne ?

Emmanuel Macron lors du conseil européen du 18 avril à Bruxelles.

Emmanuel Macron lors du conseil européen du 18 avril à Bruxelles. ARNAUD ANDRIEU/SIPA

Entretien  Alors que le président de la République s’apprête à fixer de nouveaux objectifs pour l’Union européenne depuis la Sorbonne ce matin, le politologue Thierry Chopin, conseiller spécial à l’Institut Jacques-Delors, revient sur le bilan européen d’Emmanuel Macron, sept ans après son premier discours.

Sept ans après avoir énoncé sa vision pour l’Europe en 2017, Emmanuel Macron retourne à la Sorbonne pour y délivrer son deuxième grand discours sur l’Europe ce jeudi. Le président entend réaffirmer son statut de leader européen, six semaines avant des élections européennes qui promettent, selon les sondages, en France, une large victoire du Rassemblement national.

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Mot d’ordre annoncé par l’Elysée : « passer d’un agenda de souveraineté à un agenda d’Europe puissance ». Le politologue Thierry Chopin, docteur en sciences politiques et conseiller spécial de l’Institut Jacques-Delors, décrypte pour « le Nouvel Obs » le bilan européen du président et les enjeux de son discours d’aujourd’hui.

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Ce matin à 11 heures, Emmanuel Macron est de retour à la Sorbonne pour parler d’Europe. Quelle était la spécificité de son premier discours prononcé en 2017 ?

Thierry Chopin Le discours de la Sorbonne en 2017 est un discours très important car il propose un agenda, une direction politique. On pourrait même parler de doctrine européenne. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque pour comprendre ses justifications : compte tenu des incertitudes géopolitiques générées par le mandat de Trump, et sur fond de crise migratoire en Europe, l’Union européenne devait faire face à de nouveaux rapports de force, à la fois géopolitiques et géoéconomiques, bien que parfois les deux soient difficiles à dissocier.

C’est à cette occasion que le président introduit le concept clé de souveraineté européenne, un concept qu’il développera ensuite à différentes occasions. C’est important car, par nature, l’Union européenne vise la paix, et non pas la puissance. Je dirais donc que d’un point de vue français, c’est cette notion de souveraineté européenne qui a permis de briser le tabou français consistant à opposer Europe et souveraineté.

Comment justifier ce nouveau discours de la Sorbonne ce jeudi ? Est-ce une entrée en campagne ?

En 2017, fraîchement auréolé de sa victoire, Emmanuel Macron s’adressait surtout à ses partenaires européens. C’est cette fois bien différent. D’abord, le monde a aujourd’hui atteint un degré de conflictualité qui est sans doute inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais il faut aussi rappeler que ce deuxième discours de la Sorbonne se situe dans un contexte d’élections européennes, pour lesquelles la liste de la majorité se trouve à plus de dix points de celle du Rassemblement national dans les sondages. Le discours s’inscrit à l’aune de cette échéance, au niveau européen comme au niveau national. La question qui se pose est quelle orientation donner à la politique de l’Europe d’ici l’horizon 2030 ?

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Quels enjeux devraient se trouver au centre de l’allocution du président aujourd’hui ?

S’il est impossible de prévoir les annonces du président, je dirais que les débats européens se structurent aujourd’hui autour des enjeux géoéconomiques et des grands défis internationaux. Après une période d’inflation, le contexte actuel se caractérise par une stagnation de l’activité, en raison notamment de la crise énergétique. La question d’une révision de la législation européenne se pose, pour redéfinir ce qui constitue des obstacles à la compétitivité européenne. Ces enjeux sont d’autant plus importants qu’ils concernent directement le pouvoir d’achat, et donc le quotidien des Français.

D’autre part, se pose également la question du positionnement stratégique de l’UE dans un monde toujours plus instable, avec la perspective d’un nouveau mandat de Donald Trump aux Etats-Unis en fin d’année, et donc d’un potentiel désengagement américain en Ukraine. Si c’est le cas, comment réagit l’Europe ? Une nouvelle feuille de route est à établir. D’autres thèmes très forts pourraient également être abordés, comme les enjeux de financement de la transition énergétique, ou de renforcement de la capacité de défense. Sur tous ces sujets, il existe encore aujourd’hui des tensions évidentes entre les pays européens.

Bientôt sept ans après son premier discours européen, quel bilan dresser de la politique d’Emmanuel Macron sur la scène européenne ? Quelles lignes est-il parvenu à faire bouger ?

D’abord, nous pouvons accorder au président le crédit du fait qu’il ait porté un agenda de souveraineté européenne dès 2017. Car depuis, la succession d’un certain nombre de chocs, que l’on pourrait qualifier de chocs de souveraineté, a favorisé la mise en œuvre de cet agenda. La crise sanitaire a par exemple joué un rôle très important dans la prise de conscience de l’Europe de sa dépendance dans des secteurs stratégiques comme la santé, directement liés à la protection physique des citoyens. D’autre part, l’invasion russe en Ukraine a évidemment placé les enjeux de sécurité et de puissance au premier plan politique européen. Là encore, cela vient confirmer l’agenda de souveraineté dévoilé par le Président en 2017.

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Mais attention : tout n’est pas à mettre au crédit d’Emmanuel Macron. Les décisions se prennent pour la plupart à 27, et passent le plus souvent par de nombreux compromis. Ce que l’on peut noter, en tout cas, c’est que la France s’est imposée comme une force d’impulsion en matière de souveraineté européenne, à tous les niveaux institutionnels de l’UE. Sur d’autres sujets en revanche, comme le nucléaire ou la conception de la politique industrielle, nous n’avons pas encore surpassé des tensions que l’on peut avoir avec d’autres partenaires européens. Il faudra encore des négociations et des compromis.

Comment le président français est-il perçu aujourd’hui par ses partenaires européens depuis l’étranger ? Sur quels points son image a-t-elle changé depuis 2017 ?

A son arrivée en 2017, le président jouissait d’une image très positive auprès des partenaires européens, pour la plupart soulagés que Marine Le Pen n’ait pas été élue. Emmanuel Macron était un président jeune, qui endossait l’effort de bâtir un agenda stratégique de réforme européenne. Le discours de la Sorbonne 1 était à ce titre reçu favorablement par de nombreux pays européens. Mais l’image d’un président dépend souvent de ce qu’il se passe dans son pays. Alors à mesure que la situation en France s’est détériorée, avec notamment le très fort cycle de contestation lancé depuis les « gilets jaunes », la perception de notre président par les pays européens s’est elle aussi dégradée.

Il n’est pas non plus parvenu à sortir la France de sa traditionnelle ambivalence stratégique : alors que Macron s’affiche en 2017 avec un discours résolument tourné vers l’Europe, il s’est progressivement, depuis le début de son second quinquennat, de plus en plus tourné vers un discours sur la souveraineté nationale. Enfin, sa perception a pu être entachée par l’image d’un président agissant en cavalier seul, alors même qu’il entend porter une impulsion stratégique collective. Cette image n’est pour autant pas spécifiquement nouvelle, dans la mesure où les dirigeants français se sont rarement distingués par leur humilité coopérative… c’est un problème, quand il s’agit de trouver des compromis à 27.

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