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Brexit : le plus dur est à venir !
Blogpost tiré d’une tribune parue dans Le Monde le 31 janvier 2019, par Elvire Fabry, Politologue, Institut Jacques Delors
Il aura fallu trois ans et demi et une profonde crise politique britannique pour parvenir à formaliser la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Mais le 31 janvier 2020 ne marque que la sortie politique du Royaume-Uni : désormais il ne participe plus aux décisions des Européens. Reste à opérer la sortie juridique qui ne sera pleinement effective qu’après le dé-tricotage des quelques 750 accords qui unissent le pays au bloc européen. L’accord de retrait ne garantit que les droits des citoyens, la paix en Irlande et le règlement des engagements financiers. Pour le reste, de même qu’on n’arrête pas les avions en plein vol, on ne peut se contenter d’un vide juridique. Au-delà de l’enjeu d’un coût économique maximum avec un retour des contrôles aux frontières et des droits de douanes négociés à l’OMC, c’est la vie quotidienne des Britanniques et de nombreux Européens qui serait bouleversée par l’incertitude d’une page blanche dans de multiples domaines (transferts de données, énergie, transports, sécurité, pêche, …).
La tâche des négociateurs est colossale et infaisable dans le délai de onze mois de transition auquel Boris Johnson entend se tenir d’ici fin 2020. La question d’une extension de la transition ne tardera pas à revenir sur la table. En attendant les négociateurs échafaudent des stratégies de hiérarchisation des priorités et de séquençage qui maintiendraient des liens entre les différents chapitres. Mais pour l’heure, il faut d’abord cerner l’enjeu le plus déterminant de cette négociation : le besoin de garantir des conditions de concurrence égale entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (le fameux level playing field), condition essentielle d’un maintien d’échanges commerciaux ouverts.
Certes, les Européens entendent garder une relation bilatérale la plus étroite possible y compris pour maintenir une forte coopération en matière de sécurité et de défense. Mais il y a un enjeu bien plus existentiel pour les Vingt-Sept : préserver l’intégrité de « l’écosystème réglementaire » sur lequel repose le Marché unique. Pendant les négociations de retrait, les Européens sont parvenus à « constitutionnaliser » l’indivisibilité des quatre libertés de circulation (personnes, biens, services et capitaux). À présent, il s’agit de faire valoir que ni les règles en matière sociale, ni en matière environnementale ou encore qui celles qui concernent la limitation des aides d’֧État, ne peuvent être dissociées et considérées comme optionnelles sans créer un dumping réglementaire et une distorsion de concurrence.
À présent, l’enjeu figure d’autant plus haut dans les priorités de négociation de la Commission européenne que les distorsions de concurrence provoquées par les économies émergentes et les nouvelles puissances économiques comme la Chine, ne cessent de s’accroître : en maintenant un niveau de réglementation plus faible, ces dernières exercent notamment un dumping réglementaire sur les entreprises européennes. Alors que sur ce front, les Européens s’en prennent aux aides d’État chinoises ou entreprennent d’appliquer une mesure d’ajustement aux frontières pour éviter les fuites de carbones, sur le front du Brexit ils ne peuvent que se montrer vigilants à l’égard des velléités de divergence réglementaire affichées par Boris Johnson.
Les négociateurs sont d’autant moins disposés à faire des concessions au partenaire historique britannique que l’accord final créera une jurisprudence pour les autres pays tiers. Pour le seul volet commercial, l’Union européenne sera tenue de respecter la clause de la « nation la plus favorisée » qui s’applique à la plupart des accords préférentiels qu’elle a signé à travers le monde et qui stipule que tout avantage commercial accordé à l’un de ces pays devra être étendu aux autres pays avec lesquels elle a un accord.
Le 31 janvier 2020 a donc mis un terme au Brexit « hors sol », celui qui célèbre le take back control d’une souveraineté pleine et entière sans stratégie claire d’engagement sur la scène économique mondiale. On attend dorénavant que le gouvernement britannique clarifie ses intentions en matière d’autonomie réglementaire.
Boris Johnson bénéficie d’une marge de manœuvre politique d’autant plus grande qu’en plus de la large majorité qu’il a obtenue à la Chambre des Communes en décembre dernier, il s’est assuré que la révision de l’accord de retrait lui permette de limiter le pouvoir de contrôle des parlementaires sur l’évolution des négociations.
Il tentera sans doute d’abord d’appeler à s’éloigner des réglementations européennes de manière différenciée car le coût politique d’une divergence des normes sociales et environnementales européennes serait trop important pour le parti conservateur. S’il devait ainsi se concentrer sur les aides d’État, c’est pourtant là que le risque de distorsion est le plus grand et la tolérance des Européens la plus faible. On entrerait alors dans le dur de la confrontation bilatérale.
Le désir profond des Britanniques est sans doute plus encore de pouvoir exercer leur nouvelle autonomie réglementaire sans nécessairement vouloir diverger des réglementations européennes, ce qui est comme résoudre la quadrature du cercle.
Il ne faut pas exclure in fine que Johnson puisse, à nouveau comme pour les élections, utiliser la pression d’une transition courte avec un risque de no deal fin 2020 pour mettre dans la balance un alignement réglementaire. Si un tel scénario devait arriver, ce serait néanmoins encore sans doute par fatigue du Brexit plutôt que par réalisme de l’opinion publique britannique sur l’impact du coût économique du Brexit.
On le voit, entre d’un côté la défense du Marché unique et du cadre juridique et de l’autre le take back control et la volonté d’engager une négociation politique, le rapport de force ne fait que s’engager et le plus dur est à venir.