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Comment la guerre a déjà changé l’Union européenne ?

Citer cet article :
Bret, C. 2023. «Comment la guerre a déjà changé l’Union européenne ?», Blogpost, Paris: Institut Jacques Delors, 21 février.


L’invasion de l’Ukraine par la Russie a-t-elle radicalement changé l’Union européenne ? À plusieurs égards, la guerre n’a fait que précipiter des évolutions déjà engagées en Europe. En 2022, les Européens ont accéléré la réduction de leur dépendance aux hydrocarbures russes en limitant drastiquement les importations de gaz naturel et le prix des importations de pétrole ; les institutions européennes ont également intensifié leur utilisation des sanctions internationales avec bientôt dix paquets de mesures ciblées contre des responsables russes ; et l’Union a renforcé son dialogue avec ses voisins pour accentuer son influence en Baltique, en Mer Noire et dans le Caucase.

Mais l’Union a pris un véritable tournant dans deux domaines au rythme de la crise, autrement dit en très peu de temps : elle a drastiquement changé la teneur et la portée de sa posture géopolitique, non seulement vis-à-vis de la Russie mais aussi à l’égard de tout le continent ; en outre, elle a profondément révisé sa conception la solidarité intra et extra-européenne dans l’urgence et dans un temps record. L’Union de 2023 n’est plus la même que celle de 2022. La guerre en Ukraine l’a conduite à changer. Rapidement. Profondément. Et peut-être irrémédiablement.

À l’extérieur, l’amorce d’une politique de puissance

L’Union européenne de janvier 2021 avait déjà fait évoluer sa « politique russe » en particulier et sa politique étrangère en général. Dès 2014, elle avait adopté des séries de sanctions contre la Fédération de Russie en raison de son rôle dans le conflit du Donbass (Bassin du Don) et de l’annexion de la Crimée. Elle les avait régulièrement renouvelées et avait ainsi aggravé la récession économique en Russie en 2015 et 2016. Elle avait même mis en place des outils régionaux en frappant, à l’automne 2020, la Biélorussie et le régime Loukachenko de sanctions alors du même ordre (sectorielles et individuelles) en raison de l’insincérité de l’élection présidentielle tenue cette année-là et de la répression massive de l’opposition. De manière générale, en 2021, l’Union maîtrisait déjà bien l’outil des sanctions depuis les « lignes directrices de 2007 » : à travers le monde, elle avait déjà mis en place 30 régimes de sanctions en tout, qu’ils soient autonomes ou décidés en dernière instance par les Nations unies.

Rien de nouveau sous le soleil européen en 2022 ? Pas tout à fait.

Les neufs vagues de sanctions adoptées en dix mois contre la Russie en riposte à l’invasion de l’Ukraine ne se réduisent pas à un saut quantitatif dans la gravité des sanctions et dans la quantité de personnes ciblées. Ces nouvelles sanctions constituent une véritable révolution qualitative dans la géopolitique de l’Union car elles visent explicitement, d’une part, à faire changer le cours de la politique étrangère russe, d’autre part, à établir un rapport de force tous azimuts avec l’ancien partenaire russe et, enfin à soutenir un État tiers, l’Ukraine. Le spectre large des sanctions est complété par des livraisons de matériels de défense aux forces armées ukrainiennes. Enfin le soutien diplomatique et médiatique à l’exécutif ukrainien a été constant, comme en atteste l’accueil reçu par le Président Zelensky à Bruxelles le 9 février dernier. Et cette diplomatie publique a été le fait des États membres, de leurs gouvernements, de leurs sociétés civiles mais aussi du Parlement européen, de la présidence de la Commission et de la présidence du Conseil.

Face à la guerre en Ukraine, l’Union est passée d’une politique étrangère basée sur l’influence et l’attraction à une géopolitique du rapport de force. Protester contre la violation du droit international n’était plus suffisant : agir pour son rétablissement, tel est désormais la ligne. Y compris dans le domaine militaire comme en atteste le réarmement massif décidé par l’Allemagne.

Ce pourrait être la première étape d’une véritable politique de puissance, y compris en matière militaire et capacitaire. L’UE au début de l’année 2022 était un pôle d’attraction. Celle de février 2023 tend à devenir une puissance continentale qui promeut ses intérêts et ses principes par tous les moyens disponibles.

Métamorphose supplémentaire, la géopolitique de l’Union a changé de centre de gravité : la priorité stratégique n’est plus seulement définie par Paris ou Berlin pour lutter contre le terrorisme issu des crises méditerranéennes et moyen-orientales. La zone prioritaire de la politique étrangère de l’Union est désormais son flanc est : Varsovie, Helsinki et les capitales baltes étaient traditionnellement peu adeptes des grandes visées géopolitiques. Désormais, la politique étrangère des Européens se définit avant tout en fonction des risques orientaux du continent. Tout d’un coup, la Baltique, la Mer Noire, l’aire des grands fleuves ukrainiens sont devenues centrale dans la naissance de la conscience géopolitique en Europe.

À l’intérieur, un renouveau de la solidarité

L’Union européenne de 2021 pratiquait déjà largement des politiques de solidarité (financière, juridique, diplomatique) à l’intérieur et à l’extérieur. Elle s’était imposée partout comme un moteur budgétaire de la relance économique et sociale face aux conséquences de la pandémie de COVID 19. Dans chaque État membre, les plans nationaux de relance ont été et sont toujours un outil de solidarité, de redistribution et de réforme des économies nationales. Sans Europe solidaire, pas de réponse à la crise COVID19. À l’extérieur, malgré les réticences des États membres du Groupe de Visegrad (V4), l’Union européenne s’était déjà posée comme pôle d’accueil des réfugiés de Syrie notamment, sous impulsion allemande. En outre, les différents programmes de coopérations avec l’est du continent (Politique de voisinage, Partenariat oriental, etc.) ambitionnaient de diffuser les principes et les pratiques européenne dans le Caucase, les Balkans et l’espace de la Mer Noire.

Toutefois, la guerre en Ukraine a fait sauter plusieurs verrous de non-solidarité intra-européenne. L’Union a démontré sa cohésion dans l’adoption de nouvelles sanctions. Mais elle a également mis sur pied une politique d’accueil des réfugiés différente de celle de 2015. Elle accueille en son sein près d’un cinquième de la population ukrainienne. Dans cet accueil, la Pologne du PiS y joue les premiers rôles alors même qu’elle menait la fronde contre Bruxelles sur le sujet. Désormais, le tabou de l’accueil des réfugiés est partout discuté si ce n’est brisé.

Elle a choisi d’être bien mieux qu’une Confédération helvétique portée aux dimensions d’un continent. Accepter la candidature presque immédiate de l’Ukraine à l’adhésion européenne a changé la donne sur la façon dont l’Union se rapporte à ses voisins, qu’ils soient issus de l’URSS (comme l’Ukraine et la Moldavie) ou qu’ils soient issus des Balkans (comme l’Albanie, la Macédoine du Nord ou encore la Serbie). La candidature très accélérée de l’Ukraine a donné un nouvel élan aux anciennes candidatures balkaniques : l’acquis communautaire, patiemment digéré par ces États du Sud Est européen depuis une décennie maintenant, passe au second plan. Avec la guerre en Ukraine, l’Union a changé sa conception des élargissements futurs : ceux-ci sont devenus tout autant des gestes de politique internationale que des processus techniques. Leur dimension géopolitique égale leur teneur juridique. Avec les candidatures, l’Union construit son espace d’influence et ne se contente plus d’élargir son marché ou sa zone de compétence juridique.

Vers une autre Europe ?

Assurément, l’Europe de février 2023 reprend et prolonge celle de janvier 2021. L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a pas changé l’ADN de l’Europe, sa préférence pour le droit international sur la coercition armée, sa priorité donnée à la stabilité sur l’expansion, son sérieux en matière d’acquis communautaire, etc. Mais une année de crise ukrainienne a opéré bien plus qu’un changement de conscience géopolitique. Elle a également incité l’Union à agir pour définir les propres conditions de sa sécurité. Entre une Russie hostile pour longtemps, qu’elle soit victorieuse ou non, et une OTAN durablement révivifiée en raison de la haute intensité du conflit, elle doit désormais relever le défi de devenir une puissance autonome, dans tous les domaines.

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