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29/11/18

[EN] Négocier le prochain cadre financier pluriannuel en année électorale: quelles conséquences?

Dans un contexte tendu marqué par le Brexit et le budget italien, les 27 États membres poursuivent discrètement les négociations sur le prochain budget à long terme de l’UE, qui couvrira la période 2021-2027. Les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) sont toujours longues et difficiles, et elles pourraient l’être encore plus cette fois-ci, car le départ du Royaume-Uni laisse un trou estimé entre 84 et 98 milliards d’euros.

Mais il y a un autre aspect qui distingue ces négociations du CFP des précédentes. Pour la première fois depuis la création des perspectives financières pluriannuelles en 1998, la proposition de CFP de la Commission a été présentée juste un an avant les élections européennes (figure 1). Cela complique clairement la tâche, étant donné que les négociations budgétaires de l’UE durent généralement environ deux ans.

La Commission a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité d’accélérer le calendrier des négociations cette fois-ci. Depuis la présentation de la proposition de CFP en mai 2018, elle presse le Conseil et le Parlement européen (PE) d’adopter le CFP avant les élections européennes de l’année prochaine. L’argument avancé est que les négociations pourraient être considérablement retardées par la pause électorale, ce qui pourrait finalement empêcher le lancement des nouveaux programmes de dépenses de l’UE d’ici janvier 2021.

Dans quelle mesure l’argument de la Commission est-il valable ? Est-il réaliste d’espérer un accord sur le CFP avant les élections ? Quelles seraient les conséquences si les négociations n’étaient pas terminées d’ici mai 2019 ?

  1. Soyons réalistes : il n’y aura pas d’accord sur le CFP avant les élections

Lorsque la Commission a présenté sa proposition de budget en mai 2018, l’idée de finaliser les négociations sur le CFP avant mai 2019 semblait déjà très ambitieuse. Les cadres financiers pluriannuels (CFP) sont d’abord approuvés au sein du Conseil, puis négociés entre le Conseil et le Parlement européen. Dans le passé, l’ensemble du processus a pris en moyenne 23 mois, y compris les deux premières négociations du CFP, qui ont été un peu plus courtes mais n’ont concerné que 12 États membres (voir tableau 1).

Même si la présidence autrichienne a fait du bon travail dans l’organisation des travaux relatifs au CFP, les négociations au sein du Conseil en sont encore à un stade préliminaire. Le CFP n’a pas été discuté lors du Conseil européen d’octobre et le premier échange politique de haut niveau aura lieu lors du Conseil européen de décembre 2018. Personne ne s’attend à ce que les dirigeants de l’UE parviennent à un accord à ce moment-là, et il ne semble pas réaliste d’espérer des progrès majeurs au cours des premiers mois de 2019, avec une présidence roumaine affaiblie et un agenda européen qui sera probablement dominé par le Brexit.

Outre les difficultés techniques, il y a un manque de volonté politique pour accélérer le processus. Contrairement au Parlement et à la Commission, le Conseil n’est pas pressé de finaliser les négociations avant les élections européennes. Parvenir à un accord sur le CFP implique toujours de faire des concessions importantes, et ce sera particulièrement le cas cette fois-ci, car le vide laissé par le Brexit devra être comblé soit par des coupes impopulaires dans des programmes très appréciés (PAC, politiques de cohésion), soit par une augmentation des contributions des États membres, soit par un peu des deux. Sur le plan politique, il est plus facile d’expliquer les concessions à la toute fin, dans le cadre d’un effort collectif pour finaliser un accord de dernière minute, qu’au tout début. Et aucun gouvernement de l’UE ne voudra soutenir des décisions impopulaires sur les dépenses ou les recettes de l’UE (réductions des dépenses de la PAC, augmentations de la contribution nationale au budget de l’UE) juste avant les élections européennes. Enfin, même dans le cas improbable où le Conseil parviendrait à un accord d’ici février ou mars 2019, le Parlement européen actuel n’aura aucune raison d’approuver rapidement un accord sur le CFP qui sera probablement très éloigné de la position du Parlement, telle qu’elle a été établie dans un rapport récent.

  1. Faut-il craindre un accord de dernière minute sur le CFP si aucun accord n’est trouvé avant mai 2019 ?

Le principal argument avancé par la Commission pour accélérer le calendrier est que la pause électorale pourrait entraîner des retards importants dans les négociations. Les discours et les documents de la Commission n’expliquent jamais clairement pourquoi les élections augmenteraient le risque d’une adoption tardive ; dans la plupart des cas, il s’agit simplement d’une exhortation à parvenir rapidement à un accord politique afin d’éviter de répéter l’expérience du cadre financier pluriannuel actuel (2014-2020), qui a été adopté à la toute fin de 2013, empêchant le lancement de nouveaux programmes de dépenses en janvier 2014.

Il est vrai que la période postélectorale peut être assez mouvementée. Même si une majorité hostile à l’intégration européenne est moins plausible qu’on ne le suggère généralement, le nouveau Parlement européen sera probablement plus fragmenté et les majorités seront plus difficiles à constituer. Cela pourrait compliquer la désignation du président du PE et la nomination du président de la Commission.

Cela dit, ce qui prend du temps dans les négociations sur le CFP, c’est de parvenir à un accord au sein du Conseil. En principe, il n’y a aucune raison pour que les élections au Parlement européen empêchent le Conseil de continuer à travailler sur le CFP. Donald Tusk terminera son mandat de président du Conseil européen le 30 novembre 2019 et il pourrait se sentir poussé à conclure les négociations avant son départ. Quoi qu’il en soit, si le Conseil ne parvient pas à un accord d’ici la fin 2019 ou début 2020, ce ne sera pas en raison des élections, mais d’autres facteurs (par exemple, la crise du Brexit qui domine l’agenda de l’UE, certains gouvernements de l’UE qui jouent la carte de la fermeté dans les négociations sur le budget de l’UE, etc.

Enfin, si les choses tournent mal, il est toujours possible de prolonger le CFP actuel à la fin de 2020. Cette option n’a jamais été utilisée dans le passé, mais elle a été incluse dans le traité de Lisbonne précisément pour éviter des perturbations majeures dues à des problèmes dans la négociation d’un prochain CFP.

  1. Qu’adviendra-t-il des travaux en cours sur les programmes de dépenses de l’UE si le CFP est adopté après les élections ?

Une question plus sérieuse est de savoir si l’élection d’un nouveau Parlement européen compliquera l’adoption de la législation ultérieure relative au CFP. Il convient de rappeler qu’une fois l’accord sur le CFP approuvé, le Parlement et le Conseil devront encore adopter tous les règlements sectoriels établissant les programmes de financement de l’Union pour 2021 et au-delà (c’est-à-dire les règlements de la nouvelle politique agricole commune, de la politique de cohésion de l’UE, du programme de recherche de l’UE, d’Erasmus, etc. En l’absence de ces règlements, il ne sera pas possible de commencer à verser les fonds à partir de janvier 2021.

La Commission a présenté toutes les propositions de programmes de dépenses de l’UE avant l’été et le Parlement européen actuel a commencé à les examiner. Des rapporteurs ont été désignés et les propositions ont été discutées au niveau des commissions. Dans de nombreux cas, un vote en première lecture est prévu avant la fin de cette année. Une question reste en suspens : qu’adviendra-t-il de tout ce travail préparatoire si le CFP n’est pas adopté avant les élections ?

En principe, le nouveau Parlement européen n’est pas légalement lié par les décisions prises par le parlement précédent. Il peut rejeter tout le travail préparatoire effectué et même demander à la Commission de présenter de nouvelles propositions, tant que le Conseil n’a pas agi. Le règlement intérieur du PE permet toutefois au nouveau Parlement de poursuivre les travaux inachevés s’il le juge approprié, ce qui est une pratique courante. Le Parlement européen actuel, par exemple, a décidé de reprendre la plupart des travaux inachevés de la législature 2007-2013, y compris les questions sur lesquelles l’ancien Parlement n’avait pas encore procédé à une première lecture.

Il n’est pas certain qu’un nouveau Parlement plus fragmenté, sans majorité SPD-PPE, adoptera la même approche. Un changement dans l’équilibre des pouvoirs au Parlement européen peut pousser les nouvelles majorités à demander une révision de la position du Parlement dans certains programmes sectoriels de l’UE. Les responsables de la Commission peuvent craindre que cela augmente le « risque de retard », mais d’un point de vue politique, il serait naturel et légitime d’aligner les réglementations de l’UE sur la volonté du Parlement nouvellement élu.

  1. Une occasion d’engager les citoyens dans un débat sur les choix de dépenses de l’UE

Si le CFP n’est pas approuvé avant les élections, la période électorale offre une excellente occasion d’engager les citoyens dans un débat sur les priorités de dépenses de l’UE. Après tout, la proposition de CFP de la Commission incarne une vision particulière à long terme pour l’UE. Il semble juste de donner aux citoyens leur mot à dire sur le montant que l’UE devrait dépenser dans différents domaines, sur la manière dont cet argent devrait être dépensé et sur la provenance des recettes de l’UE.

Cela ne se fera pas spontanément. Les élections au Parlement européen sont souvent dominées par des thèmes nationaux. Seules certaines questions européennes très controversées ayant un impact national évident (par exemple, la crise des réfugiés, les délocalisations intra-européennes d’entreprises, la mobilité des travailleurs) finissent par occuper une place importante dans les débats. Cette fois-ci, certaines questions relatives au CFP seront probablement mises en avant dans certains pays, qu’il s’agisse des coupes dans la PAC ou les dépenses de cohésion, de la conditionnalité des dépenses de l’UE au respect de l’État de droit, mais dans l’ensemble, la campagne accordera peu d’attention au CFP. C’est regrettable. Les partis européens devraient saisir cette occasion pour lancer un débat transnational sur l’avenir de l’Europe à 27 et sur ce que cela implique en termes de recettes et de dépenses de l’UE. Les questions budgétaires sont des questions fondamentales dans toute démocratie, et l’UE ne devrait pas faire exception à cette règle.