Le Brexit n’a pas séduit les opinions publiques européennes, au contraire

Le Brexit n’est pas une bonne nouvelle pour l’Union européenne (UE): il représente un affaiblissement en termes de poids économique, politique et stratégique pour l’UE. Par ailleurs, le Brexit acte la possibilité d’une véritable réversibilité politique et certains ont même parlé d’un risque de « désintégration » de l’UE. Pourtant, du point de vue des gouvernements nationaux, il est remarquable que les 27 aient présenté un « front uni » face aux divisions britanniques. Le rapport de force a été clairement en faveur de l’UE, ce qui s’explique par plusieurs raisons : conscience aiguë de la nécessité absolue de préserver l’intégrité du marché intérieur au cœur de l’existence politique de l’UE ; volonté unanime de ne pas accorder au Royaume-Uni un statut équivalent à l’extérieur de l’UE qu’en qualité d’Etat membre; moindre dépendance commerciale de l’UE vis-à-vis du Royaume-Uni que l’inverse ; mandat à l’unanimité, donné par les 27 Etats membres au négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier. Il est enfin à souligner que les 27 ont eu tendance à faire bloc et preuve d’unité quand il s’est agi de négocier avec l’Etat membre qui deviendra un « pays tiers » de l’UE. Ce qui a été moins analysé, c’est l’impact politique du Brexit sur les opinions publiques. Or, au moment où le Royaume-Uni est sur le point de sortir de l’UE, il apparaît clairement que le Brexit a eu un effet limité sur les opinions publiques des 27 Etats membres de l’UE et que les partis politiques eurosceptiques (partout existants) ne sont pas parvenus à capitaliser sur le départ des Britanniques de l’UE.
Toutes les enquêtes réalisées après le référendum britannique suggèrent que les opinions publiques au sein des 27 sont devenues plus favorables à l’adhésion à l’UE, y compris au Royaume-Uni. De la même manière, les données les plus récentes montrent que le soutien à l’adhésion à l’UE s’est fortement accru partout depuis le référendum sur le Brexit (Figure 1).
En outre, comme le montre la Figure 2, il n’y a pas de majorité europhobe en faveur d’un rejet du principe de l’appartenance à l’Union européenne dans aucun pays de l’UE27 – y compris dans les pays les plus eurosceptiques actuellement comme l’Italie et la France.
Les recherches les plus récentes montrent en outre que l’immigration a un impact beaucoup plus fort que le Brexit sur l’euroscepticisme des opinions publiques au sein de l’UE. Cela explique que les partis politiques eurosceptiques cherchent désormais à promouvoir contre l’UE un discours surtout construit autour du rejet de l’immigration. Celle-ci est considérée comme une priorité absolue de l’agenda politique dans plus des deux tiers des Etats membres de l’UE27 et c’est la première question qui alimente l’euroscepticisme des opinions publiques (Figure 3).
Trois raisons principales expliquent pourquoi le Brexit n’a pas été un thème mobilisateur dans l’UE27. Premièrement, depuis le référendum britannique, une grande incertitude politique a été ressentie en raison des difficultés à faire passer l’accord de sortie au Royaume-Uni (plusieurs rejets successifs par la Chambre des Communes) et de la crise politique et constitutionnelle dans laquelle se trouve le système politique britannique. Ces difficultés ont accru le soutien en faveur de l’adhésion à l’UE. Deuxièmement, la crainte des conséquences économiques et financières de la sortie de l’UE conduit une majorité des opinions publiques à s’opposer à la sortie de l’UE ou de la zone euro. Les enquêtes d’opinion les plus récentes montrent que l’adhésion à l’euro bénéficie d’un large soutien dans les pays membres de l’UEM (Figure 4). 75 % des personnes interrogées dans la zone euro sont favorables à la monnaie unique, tandis que seulement 20 % s’y opposent. Parmi les États membres de la zone euro, le soutien est plus faible mais en hausse en Italie (63%, +2pp) et plus élevé en Slovénie (86%, +2pp).
En outre, bien que le contrôle plus strict de l’immigration ait été une priorité absolue pour les forces politiques pro Brexit (notamment le UKIP dirigé alors par Nigel Farage) pendant la campagne référendaire de 2016, les enquêtes d’opinion suggèrent qu’une majorité des électeurs de l’UE27 considère que la régulation des flux migratoires nécessite plutôt des solutions au niveau européen que national (Figure 5). L’une des conséquences de la crise des réfugiés de 2015 a été une prise de conscience croissante que le contrôle des frontières est devenu un bien public européen. La Figure 5 montre qu’une majorité d’Européens est favorable à une politique migratoire européenne commune.
Trois conclusions peuvent être tirées concernant l’effet de Brexit sur les opinions publiques dans l’UE27. Premièrement, l’immigration est un facteur qui a eu un impact bien supérieur au Brexit sur l’euroscepticisme dans l’UE27. Deuxièmement, une majorité d’électeurs de l’UE27 considèrent qu’ils tirent plus d’avantages de leur appartenance à l’UE et à la zone euro que s’ils n’étaient pas membres. Troisièmement, non seulement le Brexit a eu un effet limité sur la montée de l’euroscepticisme, mais l’opinion publique est devenue plus favorable à l’adhésion à l’UE dans tous les États membres depuis que le référendum britannique a eu lieu. Les négociations sur le Brexit ont favorisé dans une certaine mesure une reconfiguration des opinions publiques européennes en faveur de l’intégration. C’est tout le paradoxe du Brexit qui, d’une part, peut être vu comme un élément de désintégration mais, d’autre part, a confirmé dans les autres Etats membres le désir de rester membre de l’UE. L’effet domino que certains ont pu redouter au début du Brexit ne s’est pas produit.