A Davos, les grands patrons au chevet d'une économie mondiale secouée par les menaces géopolitiques

La croissance mondiale devrait rester poussive en 2024. Les principaux risques tiennent au contexte politique mondial qui occupent les réflexions au forum économique mondial de Davos.

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A Davos, les grands patrons au chevet d'une économie mondiale secouée par les menaces géopolitiques
Les risques géopolitiques pourraient perturber les chaînes d'approvisionnement mondiales

Comme chaque année ou presque – pandémie oblige –, la petite station huppée de Davos, en Suisse, se retrouve pendant une semaine le lieu de convergence des puissants. Des dizaines de grands patrons mondiaux et de chefs d’Etat, dont le Premier ministre chinois Li Qiang ou Emmanuel Macron, doivent y réfléchir à la façon de «rebâtir la confiance», alors que le libéralisme économique est durement secoué. L'ambiance ne pousse pas à l'euphorie. Les perspectives économiques pour 2024 restent ternes, sans être catastrophiques. La grande vague d’inflation, qui leur a donné du fil à retordre l’an dernier, retombe progressivement. «Nous sommes dans un scénario d’atterrissage en douceur relatif», pointe Ruben Nizard, économiste chez Coface. La croissance mondiale devrait encore décélérer, avec une progression de 2,4% du PIB envisagée, anticipe la Banque mondiale.

Croissance faible dans les trois grandes économies mondiales

En zone euro, l’activité reste poussive, avec 0,8% de croissance prévue. Aux Etats-Unis, où la résistance de l’économie a déjoué tous les pronostics l’an dernier grâce au soutien budgétaire massif et aux bas de laine accumulés par les ménages, le ralentissement s’apparente à un retour à la normale. Quant à la Chine, sa baisse de régime est plus structurelle, après l’explosion de la bulle immobilière qui était l’un des gros contributeurs à la croissance du pays. Pour autant, pour le chef économiste de Global sovereign advisory Julien Marcilly, malgré la faiblesse des grandes économies, «les surprises ont été davantage positives que négatives» ces derniers mois. Les salaires devraient croître désormais plus vite que les prix, redonnant un petit coup de pouce à la demande. A contrario, ce reflux de l’inflation devrait encourager les Banques centrales à assouplir leur politique monétaire au plus tard à l’été. 

Des conditions de financement encore tendues, malgré la baisse des taux en vue

Si l’inflation européenne continue de refluer, la Banque centrale européenne devrait logiquement abaisser ses taux directeurs. C’est le scénario privilégié par la plupart des économistes. A court terme, l’effet devrait rester limité sur les contraintes financières des entreprises. Car il se fait avec retard. «Au niveau des entreprises, on ne ressent que depuis le troisième trimestre les conséquences des hausses de taux enclenchées en juin 2022, avec un durcissement réel de l’accès au crédit. Jusque-là, l’investissement des entreprises est resté dynamique», temporise Maxime Dormet, économiste chez Allianz Trade. Les entreprises ont pu compter sur les lignes de crédit généreuses qu’elles avaient négocié à des taux faibles pendant la pandémie. Mais elles doivent désormais les refinancer à des taux plus élevés, alors que certaines affichent des bilans financiers moins reluisants. En dix-huit mois, le coût moyen du crédit bancaire est ainsi passé de 1,5% à 4,8% en France. «Il n’est pas certain que tous les effets négatifs des hausses de taux soient derrière nous», remarque Hélène Baudchon, économiste pour Bnp Paribas. Mais le coup de pouce pourrait venir des marchés. Pour ceux qui se financent directement sur les marchés, les taux longs ont commencé à se détendre depuis novembre, «à un rythme plus rapide que ce qu’on anticipait», reconnaît l’économiste Julien Marcilly. De quoi soulager plus vite Etats et entreprises.

Qu’est ce qui pourrait faire dérailler le scénario 2024 ? En Suisse, les grands patrons comme les économistes considèrent à l’unisson de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, que pour 2024 «le premier risque économique est un risque géopolitique». «Un embrasement du Proche-Orient, une insécurité croissante dans le trafic de la mer rouge, un incident dans le détroit de Taïwan remettraient en cause la stabilité internationale», explicite l’indéboulonnable locataire de Bercy lors de ses vœux début janvier. Selon le forum économique mondial, la désinformation et la manipulation de l’information, notamment rendue possible par l’intelligence artificielle, arrivent en tête des risques majeurs pour 2024 identifiés par les grandes entreprises. Dans le top 5 des principales menaces, les dirigeants pointent aussi la radicalisation croissance de la société, la cybersécurité et les risques de conflits armés entre Etats, à côté des catastrophes climatiques. 

Les échanges mondiaux vulnérables à de nouveaux chocs 

Les entreprises l’ont déjà bien intégré, par la force des choses. Lors des renouvellements de leurs contrats d’assurance fin 2023, «il y a eu de grosses tensions sur les risques politiques en lien avec les mouvements géopolitiques», relate Alain Ronot, membre de l’association des risk-manageurs Amrae et directeur risques et assurances de Capgemini. Selon l’étude annuelle du conseil national des achats et d’AgileBuyer, 70% des directions achats anticipent de revoir leur stratégie achats en 2024 à cause des crises géopolitiques. Et plus de la moitié d’entre elles placent la réduction de leur dépendance à la Chine en haut de leurs axes stratégiques pour cette année.

Déjà en cours de reconfiguration, les échanges mondiaux sont vulnérables à de nouveaux chocs. Le trafic dans le canal de Panama fonctionne déjà au ralenti pour cause de sécheresse. En mer rouge, les attaques de drones lancés par les rebelles Houthis sur des navires commerciaux ont déjà réduit d’un tiers le trafic via le canal de Suez, selon le site spécialisé Lloyd list. Et la crainte d’une escalade après le bombardement américain et britannique de sites au Yémen pourrait encore dérouter plus de navires.

Pour l’instant, ces tensions ont augmenté de 240 % les tarifs du fret par conteneurs depuis novembre. A cause des délais d’approvisionnement rallongés, Tesla et Volvo ont été contraint de suspendre temporairement la production de leurs usines européennes. Si elles durent jusqu’à l’été, ces perturbations pourraient coûter 0,4 point de PIB à l’économie mondiale, selon les calculs de l’assureur-crédit Allianz Trade. Alors que 12% du pétrole mondial passe par la mer rouge, «une hausse des prix de l’énergie serait la principale courroie de transmission à court terme», estime Maxime Darmet, économiste chez Allianz Trade. «Dans les biens manufacturiers, les entreprises ont en revanche des stocks assez élevés pour le moment».

Des résultats électoraux a surveiller 

Autre source d’incertitude pour les prévisions économiques : 2024 est une «super-année» d’élections, car les pays appelés aux urnes concentre 60% du PIB mondial, de la Russie en passant par l’Inde, le Royaume-Uni, l’Indonésie ou la Corée du Sud. «Chacune à leur manière, ces élections peuvent ouvrir des risques géopolitiques, pas tant en 2024 que pour après», pointe Sylvie Matelly, la directrice de l’institut Jacques Delors. A Taïwan, l’élection à la présidence du candidat pro-indépendance Lai Ching-Te à l’élection, malgré les intimidations chinoises, peut inciter Pékin à renforcer encore la pression sur Taipei.

Un peu plus tard dans l’année, le duel en novembre entre Donald Trump et Joe Biden aux Etats-Unis s’annonce lui aussi crucial pour le commerce international, en particulier pour les Européens. «Donald Trump veut désormais une hausse généralisée des droits de douane de 3% à 10% sur tous les produits», souligne Julien Marcilly alors que l'ancien président républicain menace par ailleurs de quitter l'OTAN. Sans oublier que d’ici là, les sondages pronostiquent une poussée des partis d’extrême-droite dans le prochain Parlement européen après les élections de juin. Avec à clef un possible de coup d’arrêt sur les ambitions de réglementations environnementales des vingt-sept et une interrogation sur son soutien financier à l’Ukraine, stratégique pour ce pays. De quoi provoquer des secousses à même de chambouler les business plans des entreprises. 

(avec Jonathan Grelier)

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