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Analyse

Hamas-Israël : les Européens divisés face à la guerre à Gaza

Gaza, l'engrenagedossier
Après des ratés au cours de la première semaine qui a suivi les attaques du Hamas, l’Union européenne, qui ne parvient toujours pas à parler d’une même voix, est incapable de peser sur le conflit.
par Nelly Didelot
publié le 7 novembre 2023 à 22h05

L’un des plus grands succès de l’Union européenne (UE), au début de la guerre en Ukraine, a été de parvenir à parler d’une même voix. Sanctions contre la Russie et aide militaire et humanitaire ont été adoptées en un temps record, laissant rêver à une autonomie stratégique européenne, avant que la cohésion ne se fissure. Cette unité n’a jamais existé pour la guerre à Gaza. Passé l’effroi et la stupéfaction qui ont suivi les attaques terroristes du Hamas, condamnées unanimement, l’UE a peiné à s’accorder.

Il a fallu dix jours pour convoquer un Conseil européen extraordinaire consacré à la guerre entre Israël et Hamas, le 17 octobre, là où les Vingt-Sept s’étaient réunis deux jours après l’invasion de l’Ukraine. Pendant ce laps de temps, le vide a été comblé par des initiatives personnelles malheureuses. Olivér Varhelyi, le commissaire hongrois en charge de la politique de voisinage, a annoncé le 9 octobre que Bruxelles, principal bailleur de fonds de l’aide aux Palestiniens, cessait immédiatement tout soutien financier à la bande de Gaza et à la Cisjordanie. Une décision hors de ses attributions, prise sans en informer ses collègues ni sa hiérarchie, et qui forcera l’UE à des démentis.

L’Irlande et l’Espagne aux avant-postes

Quelques jours plus tard, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, faisait cavalier seul en Israël en affirmant que l’Etat hébreu avait «le droit» et «même le devoir de défendre et de protéger sa population» sans le moindre appel à la retenue dans les représailles de Tsahal. Le Conseil européen du 17 octobre a rapidement recadré le message, en soulignant le droit d’Israël à se défendre dans le respect du droit international, tout en rappelant l’importance de la solution à deux Etats.

Ces nuances ont été apportées sous l’impulsion des Etats membres les plus sensibles à la cause palestinienne, dont l’Espagne et l’Irlande sont les chefs de file. Dublin, notamment, a alerté sur le sort de la population de Gaza dès les premiers bombardements, qualifiés de «punition collective» par le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar. Marquée par son passé de colonie britannique et par la guerre civile, l’Irlande est un soutien historique des Palestiniens et a été le premier Etat de l’UE à soutenir la création d’un Etat palestinien, dès 1980.

A l’inverse, l’Europe centrale est massivement mobilisée en soutien d’Israël et défend dans l’ensemble la guerre menée à Gaza. Pour compliquer encore la donne, la position historique de certains Etats vis-à-vis du conflit israélo-palestinien a évolué lors des dernières années. C’est le cas de la France, historiquement puissance d’équilibre sur ce dossier, qui a dérivé vers Israël, notamment sous la présidence d’Emmanuel Macron. De profondes divergences soulignées lors du dernier Conseil européen, le 26 octobre : il aura fallu plusieurs heures aux Vingt-Sept pour s’accorder sur la notion de «pauses humanitaires», au pluriel, à Gaza.

Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. «Dans l’histoire, face au conflit israélo-palestinien, l’Union a été pionnière, voire leader, et cette crédibilité devrait peut-être l’inspirer pour des initiatives futures, rappelle Nicole Gnesotto dans une note de l’institut Jacques Delors. En juin 1980, les neuf chefs d’Etat de l’époque ont reconnu qu’il n’y a pas d’autres solutions que la coexistence de deux peuples, “dans des frontières sûres, reconnues et garanties”. Ils ont été les premiers responsables occidentaux à prendre si clairement position.»

Crispations

Jusqu’où va le droit d’Israël à se défendre ? Faut-il appeler à un cessez-le-feu ? Sur ces questions essentielles, les Européens sont aujourd’hui très divisés. Pire, après des semaines de bombardements sanglants à Gaza, les postures se crispent. Suite au vote à l’ONU d’une résolution appelant à un cessez-le-feu (8 membres de l’UE ont voté pour, 4 contre et 15 se sont abstenus), la ministre tchèque de la Défense a appelé son pays, qui s’est opposé à la résolution, à se retirer purement et simplement de l’ONU. «La République tchèque n’a pas sa place dans une organisation qui encourage les terroristes et ne respecte pas le droit fondamental à l’autodéfense», a-t-elle déclaré, sans que le reste du gouvernement conservateur de Prague ne soutienne sa démarche.

«Aujourd’hui, l’Europe est trop mise à l’écart au Moyen-Orient pour espérer faire entendre sa voix. Toutefois, une fois le conflit terminé, la nécessité de régler enfin la question palestinienne par un accord de paix entre Israël et le peuple palestinien demeurera, note Pierre Vimont, ancien secrétaire général pour l’action extérieure de l’UE, dans une analyse du centre Carnegie Europe. L’Europe pourrait alors jouer un rôle important en utilisant son influence économique pour convaincre Israël et un leadership palestinien renouvelé de reprendre des négociations sérieuses.» Pour cela, il faudra que l’UE réapprenne à parler d’une seule voix.

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