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Qu'est-ce que la démocratie illibérale, modèle dont Viktor Orban se veut le chantre ?

Démocratie
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban lors d'un meeting de campagne, le 1er avril 2022 à Szekesfehervar (Hongrie). © Akos Stiller/Bloomberg via Getty Images

Seulement deux jours après la réélection de Viktor Orban à la tête de la Hongrie, la Commission européenne annonce le déclenchement contre Budapest d'une procédure inédite qui permet de suspendre le versement de fonds européens en cas de violations de l’État de droit.

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"Bonjour, dictateur !" Le salut goguenard, presque affectueux, est lancé par Jean-Claude Junker. Viktor Orban s'avance vers lui lors du sommet européen de Riga en 2015 et rétorque un "bonjour grand-duc", référence au Grand-Duché de Luxembourg d'où est originaire le président de la Commission européenne. Rien de bien nouveau pour le controversé Premier ministre, à la tête de la Hongrie depuis 2010, habitué aux bras de fer avec l'Union européenne.

Sept ans plus tard, Jean-Claude Junker n'est plus président de la Commission, mais Viktor Orban est reconduit pour son quatrième mandat après une "victoire exceptionnelle" aux élections législatives du 3 avril dernier. "Une victoire si grande qu'on peut sans doute la voir depuis la lune, et en tout cas certainement depuis Bruxelles", nargue le Premier ministre, félicité par Vladimir Poutine.

Sa réélection n'a effectivement pas échappé à l'Union européenne. Deux jours plus tard, la Commission européenne lance contre la Hongrie une procédure inédite permettant de suspendre le versement de fonds européens en cas de violations de l’État de droit. Une décision saluée par le Parlement européen, qualifiée d'"erreur" par Gergely Gulyas, le chef de cabinet de Viktor Orban, qui demande "à la Commission européenne de ne pas punir les électeurs hongrois pour ne pas avoir exprimé une opinion au goût de Bruxelles lors des élections".

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Entériner le recul de l'État de droit

"En ces temps très difficiles [de guerre, ndlr] nous devons faire preuve de solidarité", estime de son côté la ministre hongroise de la Justice Judit Varga, mardi 12 avril. "Nous devrions nous concentrer sur les sujets qui nous unissent plutôt que sur ceux qui créent des divisions."

Pour le commissaire européen à la Justice Didier Reynders au contraire, l'invasion russe de l'Ukraine souligne la "nécessité d'être très attentif au respect de l'État de droit et des règles au sein de l'Union européenne".

Si la réélection du nationaliste conservateur hongrois était prévisible, l'Union européenne ne s'attendait pas à un tel score alors qu'une grande partie de l'opposition s'était alliée pour le battre. Le Fidesz, parti de Viktor Orban, a recueilli 53,35 % des voix contre 34,75 % pour l'opposition et conserve ainsi sa confortable majorité des deux-tiers au Parlement, ce qui lui permet de modifier la Constitution. Chose que Viktor Orban ne s'est pas privé de faire durant ses précédents mandats pour entériner le recul de l’État de droit.

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Réforme de la Cour constitutionnelle, corruption au sommet, atteintes à l'indépendance de la justice et à l'action des ONG, à la liberté de la presse, aux droits des personnes LGBTQ+ ... Viktor Orban, figure de proue du populisme européen et proche de Vladimir Poutine, s'applique au fil de ses mandats à limiter la démocratie en Hongrie. La formule est assumée : le Premier ministre revendique dès 2014 l'exercice d'une "démocratie illibérale", à rebours des "dogmes et idéologies" des démocraties libérales occidentales qu'il rejette. "Ce n'est pas parce qu'un État n'est pas libéral qu'il ne peut pas être une démocratie", arguait-il alors.

Illibéralisme

Viktor Orban a emprunté le terme de "démocratie illibérale" au politologue américain Fareed Zakaria, qui l'a employé la première fois en 1990. Il désigne un régime qui repose sur le respect des élections mais qui se défie des autres aspects de la démocratie. C'est le détournement des outils démocratiques à des fins illibérales (comme les révisions de la Constitution ou le contrôle des nominations) qui caractérise la démocratie illibérale.

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Démocratie et république : qu’est-ce qui les différencie ?

Les dirigeants sont démocratiquement élus mais ils privent leurs citoyens de leurs droits fondamentaux. Ils contestent l’indépendance de la justice, veulent se soustraire à la remise en cause de leur pouvoir – et affaiblissent d'ailleurs tous les contre-pouvoirs –, réduisent les libertés universitaires et de la presse. "La démocratie illibérale ne met en place ni censure ni parti unique, mais elle assèche l'écosystème du pluralisme", écrivent Sylvain Kahn et Jacques Lévy dans leur ouvrage Les pays des Européens (Odile Jacob, 2019).

"L'illibéralisme doit être compris uniquement comme une idéologie qui regarde avec scepticisme le libéralisme tel qu'il existe aujourd'hui dans la pratique. Cela signifie que seuls les pays qui ont connu une certaine forme de libéralisme et de démocratie peuvent être considérés comme des pays illibéraux", souligne Marlène Laruelle. Si la chercheuse à l'Institut français des relations internationales reconnaît dans une interview donnée à l'Institut Montaigne que "l'Europe centrale est probablement le principal terrain de jeu de l'illibéralisme", il existe d'autres exemples dans le monde, comme les États-Unis ("en raison de leurs fortes circonscriptions d'extrême droite et conservatrice"), Israël ou encore l'Inde, le Brésil et les Philippines.

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"La démocratie illibérale est en réalité un écran de fumée masquant l’évolution vers un 'autoritarisme majoritaire'", note Thierry Chopin, conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors, dans une analyse publiée sur le site de l'institut. Le philosophe politique Luuk van Middelaar lui préfère un autre nom : celui d'"autocratie électorale", où "les électeurs sont encore là pour la façade ; et la presse, la justice, les associations, les universités sont réduites au silence. Nous en sommes là en Hongrie", note-t-il dans une interview au journal Le Monde.

La Commission européenne préoccupée

Dans son rapport 2021 sur l’État de droit en Hongrie, la Commission européenne souligne la dégradation de la situation dans le pays et une lutte insuffisante contre la corruption, et se dit préoccupée par la "transparence et la qualité du processus législatif hongrois". Depuis 2010 et l'arrivée de Viktor Orban au pouvoir, le gouvernement hongrois "a introduit une nouvelle constitution et modifié le système électoral, tandis que le parti au pouvoir a étendu son influence sur le système judiciaire, les médias d'État et le système éducatif, plaçant les fidèles d'Orban à la tête d'institutions allant du procureur général à l'organe de surveillance des médias", liste Politico. Le Premier ministre hongrois a néanmoins toujours pris garde à ne jamais franchir complètement les lignes rouges, son pays dépendant des fonds structurels européens.

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Les différentes institutions européennes ont tenté de mettre la Hongrie au pas – jusqu'à brandir la menace de l'article 7 du Traité sur l'Union européenne, qui peut conduire à la suspension du droit de vote d'un État membre au Conseil de l'UE s'il ne respecte pas ses valeurs fondatrices. Sans résultat.

Une procédure d'infraction – pouvant mener à la saisie de la Cour de justice de l'Union européenne – a été lancée en juillet dernier à propos d'une loi controversée interdisant d'évoquer auprès des moins de 18 ans "le changement de sexe et l'homosexualité", jugée par Bruxelles comme discriminatoire à l'encontre de la communauté LGBT+. Le mécanisme de "conditionnalité" des subventions européennes, procédure en vigueur depuis janvier 2021 mais encore jamais utilisée, est une autre tentative pour faire réagir la Hongrie.

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"L'État de droit, c'est aussi limiter la possibilité pour les autorités d'un État membre, même soutenues par une large majorité au Parlement, une large majorité au sein de la population, d'agir contre nos valeurs", se défend le commissaire européen Didier Reynders à l'issue d'une réunion des ministres de l'UE à Luxembourg à l'issue d'une réunion des ministres de l'Union européenne, mardi 12 avril. Et Clément Beaune, secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, d'ajouter : "Je n'opposerai jamais un verdict électoral et le respect de l'État de droit".

Nous (les pays de l'UE) avons un pacte fondamental commun qui s'applique et continue à s'appliquer tant que nous sommes engagés dans le projet européen – Clément Beaune, secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes

Dans un billet publié sur le site de la Fondation Jean Jaurès, Matthieu Boisdron, chargé d’enseignement à l’Université de Nantes, estime que le maintien au pouvoir de Viktor Orban depuis 2010 apparaît au yeux du monde "comme le cruel et puissant révélateur de l’incapacité de la république démocratique, et surtout du régime libéral de marché, à créer un ordre économique et social plus juste en Hongrie".

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