Policy Paper 14

Le premier référendum néerlandais : une évaluation à la veille du scrutin

A bien des égards, l’analyse de la campagne néerlandaise de ratification du Traité constitutionnel par Arjen Nijeboer, observateur et acteur de cette campagne référendaire, met en exergue la proximité politique entre les Pays-bas et la France. Disponible uniquement en anglais.

Première similarité : la crise de confiance que traversent les deux régimes. Fin du miracle économique et restructuration de la société en piliers pour les Pays-bas, défiance politique et morosité économique de la « France d’en-bas », les partis politiques traditionnels de ces deux pays semblent incapables de répondre à l’insatisfaction grandissante de la société. De ceci résulte une deuxième similarité : la modification en profondeur des comportements électoraux. Abstention croissante, attrait des extrêmes, discours populistes ont envahi les scènes politiques de ces deux pays jusqu’à modifier les modes d’action et de représentation des principaux partis. En ce sens le 21 avril 2002 et le meurtre de Pim Fortuyn de mai 2002 pèsent toujours comme autant d’hypothèques s’opposant à la « normalisation » de la vie politique. Troisième et dernière similarité : le scrutin sur le Traité constitutionnel européen fait les frais de ce contexte. Les thèmes de l’Europe bureaucratique, du vote sanction envers le gouvernement et de l’appauvrissement consécutif au passage à l’euro prospèrent, plaçant les partisans du « oui » dans une position défensive. 
La proximité entre les deux campagnes référendaires ne sauraient pour autant faire conclure à une trans-nationalisation possible du « non ». Certes, les frontières de l’Europe et la candidature turque, la perte d’identité nationale et la critique des eurocrates de Bruxelles sont des arguments communs aux opposants des deux pays. Cependant, trois facteurs les différencient. Le premier renvoie à un clivage émergeant au sein de l’Union entre « grands » et « petits » Etats. Ainsi, si les opposants français réclament un leadership plus important de la France dans la construction européenne, leurs homologues néerlandais s’inquiètent au contraire de la perte d’influence possible pour leur pays en cas de ratification du Traité constitutionnel. Le deuxième s’attache au statut de contributeur net des Pays-bas. Même si la France a acquis ce statut depuis peu, la sensibilité par rapport à cette question est loin d’être comparable. Avec la dégradation de la situation économique, cette question revêt pour certains opposants hollandais au Traité constitutionnel (notamment le populiste Geert Wilders) un caractère de fierté nationale qui alimente l’opposition souverainiste. Troisième différence : la substance de l’opposition alter-européenne. Alors qu’en France les principaux opposants de gauche au Traité revendiquent une intégration européenne plus poussée, au moyen si besoin de rythmes différenciés selon les pays, les partisans d’une « autre Europe » aux Pays-bas souhaitent une Europe moins interventionniste et plus respectueuse des traditions nationales. C’est la position par exemple du Parti Socialiste (à ne pas confondre avec le parti social-democrate PvdA) et de la droite populiste. 
Ainsi, l’analyse d’Arjen Nijeboer ne nous offre pas seulement un tableau exhaustif de la campagne référendaire néerlandaise ; elle nous rappelle opportunément combien les lectures nationales du projet de traité peuvent varier, argument ô combien négligé par tous ceux qui prédisent un « grand soir » ou une « crise salutaire » si le « non » venait à l’emporter en France. C’est dire la responsabilité européenne des électeurs français qui, en se prononçant le 29 mai, enverront un signal fort aux autres citoyens européens, indiquant soit un soutien à la poursuite du processus d’intégration des cinquante dernières années soit, au contraire, l’aspiration à une autre Europe.