Décryptage

Appartenir à l’Europe

Cet article a paru dans la revue Études en octobre 2021.

Si l’appartenance à l’Europe n’est plus remise en question, y compris en France, on peut s’interroger sur le sens complet de cette appartenance. Celle-ci exige d’imbriquer ses dimensions culturelle, institutionnelle et politique, trop souvent éclatées, afin de donner à l’Union européenne toute sa vigueur nécessaire en ces temps exigeants.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne prévue au prochain semestre devrait mettre en exergue « l’appartenance » européenne dans sa devise. Mais de quelle appartenance s’agit-il ? Envers quelle Europe ? Des crises successives ont interrogé les liens complexes qui nous rattachent à l’Union européenne. La crise migratoire de 2014-2015, dont le spectre est de nouveau agité, a rappelé aux Européens le havre de paix, de prospérité et de liberté qu’ils représentent aux yeux du monde, en même temps qu’elle trahissait leur insécurité culturelle à accueillir la différence et une incapacité, encore éclatante, à se coordonner à vingt-sept sur ce sujet politiquement glissant. Dernièrement, la crise sanitaire, après un chaotique sauve-qui-peut initial, a su montrer, à l’inverse, la valeur ajoutée de la coopération et de la solidarité entre pays, tant pour la campagne vaccinale que pour la relance des économies en cours. Mais c’est la crise du Brexit qui a le plus questionné directement et à froid la signification même de l’Union européenne, soumise au départ volontaire et non contraint de l’un des siens. Le retrait complet du Royaume-Uni a brisé le tabou de l’irréversibilité de la construction européenne, tout en faisant la démonstration par l’absurde de sa solidité par une cohésion des Vingt-Sept jamais prise en défaut par Londres. Le Brexit n’a depuis fait école nulle part ailleurs. Aujourd’hui, à de très rares exceptions près, même l’extrême droite continentale ne remet plus en cause l’euro, l’espace Schengen et, plus largement, l’adhésion à l’Union européenne.

Le terme d’appartenance ne se limite pas à celle, légale, d’un État comme membre de l’Union européenne, scellée en vertu d’un traité d’adhésion. Ce dernier exige d’ailleurs une ratification obtenue souvent par voie référendaire, qui manifeste alors une acceptation populaire, ou non, du rattachement du pays à l’Europe. La dernière en date, en 2012, est le « oui » à plus de 66 % des Croates en faveur de leur adhésion à l’Union européenne. On se souvient, a contrario du « non » des Norvégiens en 1972, refus répété par référendum en 1994. Le plus spectaculaire reste le Brexit choisi par une courte majorité de Britanniques en 2016, mettant fin à une adhésion qui avait elle-même été confirmée quarante ans plus tôt par le premier référendum dans l’histoire du pays, en 1975, avec alors plus de 67 % de « oui » et une large participation du corps électoral.

L’appartenance à l’Europe n’est toutefois jamais aussi tranchée et binaire qu’un référendum la laisse s’exprimer. Elle dépasse la seule question, bien que fondamentale, de l’adhésion à l’Union européenne. Elle est une question à la fois individuelle et collective et, en tout cas, évolutive. Elle puise, selon des degrés variables, dans le sentiment, la raison et la conscience. La première touche à l’affectif, la deuxième évalue l’intérêt, la troisième embrasse les deux premiers pour toucher à l’intime conviction.

À cette triple approche de l’appartenance répond une triple définition de l’Europe. Le même terme peut renvoyer en effet aussi bien au continent et à sa civilisation, à l’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui et à un grand dessein, le projet d’Europe unie, autrement dit celui de « faire l’Europe ». On aborde ainsi diversement l’Europe selon ses versants culturel, institutionnel ou irénique. Se dire « Européen » signifie tantôt s’y identifier culturellement; tantôt agir, travailler, étudier, consommer comme citoyen de l’Union ; tantôt encore, aspirer au projet d’unité en Européen « convaincu ».

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