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Faut-il taxer les Big Tech en réponse à la hausse des droits de douane de Trump ?
Chronique publiée en partenariat avec L’Opinion
Ursula von der Leyen a évoqué la possibilité d’imposer une taxe sur les recettes publicitaires des géants du numérique américains si les négociations commerciales avec Donald Trump venaient à échouer.
L’idée n’est pas nouvelle. L’Union européenne déplore depuis longtemps que les GAFAM ne paient pas un niveau d’impôt équitable en Europe. En raison de la nature dématérialisée de leurs services, ces entreprises échappent en grande partie à l’impôt sur les sociétés, traditionnellement fondé sur la présence physique. Résultat : elles s’acquittent de montants bien inférieurs à ceux des entreprises classiques.
Pour tenter de remédier à cette situation, la Commission avait déjà proposé, en 2018, une taxe sur les services numériques. Mais en l’absence d’unanimité entre les États membres — condition requise en matière fiscale — la proposition avait échoué. Plusieurs pays, dont la France, avaient alors instauré leur propre taxe GAFAM. Ces taxes nationales sont toujours en vigueur. Tous les grands États de l’UE, à l’exception de l’Allemagne, en appliquent une, avec des portées variables mais un principe commun : taxer les revenus issus des services numériques en s’appuyant sur le nombre d’utilisateurs comme indicateur de la valeur générée.
Faut-il dès lors créer une taxe européenne ? L’idée présente plusieurs avantages. Elle permettrait d’harmoniser les règles fiscales au sein de l’Union et offrirait une source de financement prometteuse pour le budget européen, à un moment où les recettes numériques connaissent une croissance rapide (entre 2017 et 2023, les recettes de la publicité numérique dans le marché européen ont augmenté de 156 %).
Mais instaurer une telle taxe dans le contexte actuel comporte des risques. Dès son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a signé des décrets ordonnant des mesures de rétorsion contre tout pays adoptant une taxe sur les services numériques. Une taxe européenne risquerait donc de provoquer des représailles. Et contrairement aux droits de douane, les taxes numériques font l’objet d’un large consensus bipartisan au Congrès : elles sont perçues comme discriminatoires à l’encontre des entreprises américaines et comme une menace directe pour les recettes fiscales des États-Unis
Le risque le plus important, toutefois, serait de compromettre définitivement l’accord mondial sur la taxation des multinationales, négocié sous l’égide de l’OCDE. Signé en 2021, cet accord visait à proposer une réponse globale aux défis fiscaux posés par les grandes entreprises. L’administration Biden y avait adhéré en échange de l’engagement des pays européens à supprimer leurs taxes numériques nationales une fois l’accord pleinement appliqué.
Certes, il semble peu probable que l’administration Trump relance une dynamique multilatérale. Mais selon le secrétaire général de l’OCDE, les États-Unis continuent malgré tout de participer activement aux discussions. Washington rejette catégoriquement le “pilier 1” de l’accord, qui prévoit d’imposer les géants du numérique dans les pays où se trouvent leurs utilisateurs. En revanche, s’inquiète du “pilier 2”, déjà appliqué en Europe, qui permettrait aux États membres de récupérer une part des recettes fiscales des entreprises dont le taux d’imposition effectif est inférieur au minimum mondial de 15 %.
L’Union européenne devra donc manier avec précaution la menace d’une taxe numérique européenne : l’utiliser comme levier dans les négociations commerciales, tout en affichant sa volonté de l’abandonner si Washington accepte de rouvrir les discussions sur un accord fiscal international.