Rapport 116
Pour une politique européenne de l’asile, des migrations et de la mobilité
Le défi migratoire s’annonce comme un thème incontournable de la campagne des élections européennes et de la prochaine législature. Avec des flux d’arrivées aux frontières de l’Union européenne aujourd’hui en net recul par rapport au pic de 2015, la crise migratoire apparaît contenue plutôt que réglée en profondeur. Elle met au grand jour des divisions et tensions entre États de l’Union, qu’attise l’approche du scrutin européen, déboussolant les opinions européennes.
Le présent rapport d’orientation de l’Institut Jacques Delors, confié à Jérôme Vignon, veut aider autant les candidats au Parlement européen que les électeurs à faire le tour complet de la complexe question migratoire, dont le règlement ne saurait se réduire à l’établissement de « centres contrôlés » ou à de très hypothétiques « plateformes de débarquement ».
Ce rapport part de l’existant. Tout d’abord, celui de l’état des opinions en Europe, plus subtil qu’une opposition entre hostilité aux étrangers et hospitalité sans bornes. Une majorité de citoyens européens refuse ces deux attitudes extrêmes mais s’interroge sur l’attitude juste à tenir. Ils sont habités davantage par le doute que par la peur. Les solutions présentées dans ce rapport cherchent, par leur assemblage, à répondre à ce tiraillement intérieur des Européens.
Autre point d’appui, les bases inachevées mais existantes d’une politique européenne commune de l’immigration et de l’asile. Le rapport en rappelle les principales législations et institutions établies depuis une quinzaine d’années dans les domaines de l’asile (règlement de Dublin), de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen de libre circulation, de l’immigration légale de travail et de l’aide au développement. La crise migratoire a toutefois sapé la programmation stratégique de cette politique européenne, actuellement régie par des urgences de court terme.
La réponse au défi migratoire exige pourtant d’apprécier le phénomène dans toute son étendue. À partir des dernières statistiques disponibles, ce rapport prend la mesure d’une augmentation générale de la mobilité. Il explique comment le développement des pays d’Afrique n’en tarira pas une émigration de travail appelée à croître et dont le « vieux continent » aura besoin.
Devant cet état ébranlé de l’opinion, des failles dans les politiques en vigueur et l’étendue du phénomène migratoire, ce rapport formule cinq propositions réalistes pour conduire une politique européenne de l’asile, des migrations et de la mobilité :
- Homogénéiser les conditions d’accès à l’asile dans l’Union européenne, sous l’impulsion opérationnelle du Bureau européen de l’asile, qu’il faut renforcer afin qu’il répartisse les demandes recevables en tenant compte des projets des personnes. Ceci implique le concours d’États de l’espace Schengen, qui assument volontairement la responsabilité d’instruire les demandes d’asile, solidairement avec les États situés en première ligne des arrivées. Entre ces administrations nationales devrait prévaloir la reconnaissance mutuelle des décisions d’octroi du titre de réfugié, limitant ainsi les flux entre pays.
- Protéger les frontières extérieures de l’UE par une agence de type fédéral, intégrant les capacités nationales de surveillance. Le modèle ayant conduit la Banque centrale européenne à fédérer les banques centrales nationales pourrait en inspirer la gouvernance.
- Organiser une immigration légale de travail à l’échelle de l’Union. Une cible indicative quinquennale déclinée par grande catégorie de qualifications servirait à constituer des gisements de candidats éligibles à un visa de travail de courte durée pour une recherche d’emploi dans l’UE. Ceci permettra de lutter contre l’immigration irrégulière, qui aujourd’hui fragilise l’accès au droit d’asile.
- Co-construire le développement et les migrations avec les pays d’origine pour mettre en échec les filières de passeurs et recentrer la relation UE-Afrique sur le travail, la formation et la mobilité.
- Renforcer l’intégration par un apprentissage mutuel des démarches nationales et l’adoption d’objectifs européens.
Ces orientations dessinent une espérance raisonnable pour la politique migratoire, que les citoyens européens sont en droit d’attendre du futur Parlement européen et de la prochaine Commission.