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Pour un Conseil de Sécurité Economique

Contre toute attente, les risques que court l’humanité, pour sa sécurité et peut-être même pour sa survie, se sont considérablement accrus et diversifiés depuis la fin de la guerre froide et la communauté internationale ne paraît plus en état d’y faire face. La sécurité collective, véritable raison d’être de l’Organisation des Nations unies, doit se décliner sur un registre économique autant que sur le registre étroitement politique qui a été le sien jusqu’à présent, car elle est indivisible.

Contre toute attente, les risques que court l’humanité, pour sa sécurité et peut-être même pour sa survie, se sont considérablement accrus et diversifiés depuis la fin de la guerre froide et la communauté internationale ne paraît plus en état d’y faire face. La sécurité collective, véritable raison d’être de l’Organisation des Nations unies, doit se décliner sur un registre économique autant que sur le registre étroitement politique qui a été le sien jusqu’à présent, car elle est indivisible.

Le grand mouvement d’intégration économique à l’échelle planétaire que nous connaissons repose sur des principes qui fonctionnent bien pourvu qu’un certain nombre de conditions soient réunies : le développement du commerce favorise la croissance gr ce à la division internationale du travail et à la concurrence. l’intégration économique est souhaitable au sens de Pareto, C’est-à -dire que les gagnants obtiennent de quoi compenser les perdants sans devenir perdants à leur tour.

Le tout est de savoir si les conditions nécessaires sont bien réunies et si les mécanismes de compensation sont bien en place. Or, rien malheureusement ne permet Aujourd’hui de l’affirmer. l’hypothèse de convergence qui caractérise la théorie traditionnelle de la mondialisation doit être étayée par une attitude active et ferme des autorités et cela d’autant plus qu’à la compétition classique entre systèmes économiques s’ajoute maintenant une compétition entre systèmes sociaux.

Plus d’un milliard d’individus n’ont toujours pas accès à l’eau et aux équipements sanitaires. Un milliard d’hommes vivent avec moins d’un dollar par jour. Le double, soit le tiers de la population mondiale, vit avec moins de deux dollars par jour et fait figure d’exclu.

Les politiques de développement actuelles suscitent des interrogations quant à leur caractère durable. Au surplus, lorsqu’elles sont mises en oeuvre sans souci de cohésion sociale, elles conduisent à un accroissement des inégalités propre à engendrer des tensions de toute nature.

Le décalage entre objectifs et idéaux proclamés, d’une part, et réalisations, de l’autre, est un sujet de scandale pour tous, à commencer par les exclus. Les grandes conférences mondiales et les grandes commissions de réforme témoignent des meilleures intentions et contribuent à faire apprécier par les opinions publiques le phénomène de la mondialisation, mais elles ont singulièrement manqué de suivi. l’aide publique au développement stagne à 68,5 milliards d’euros par an, soit 0,25% de la somme des PIB des pays riches, loin des 0,7% promis. Les huit objectifs du millénaire pour le développement, définis, non sans emphase, par l’assemblée générale des Nations unies en septembre 2000, et censés être atteints en 2015, ne sont pas financés. La déperdition économique et la souffrance humaine qui résultent de l’écart actuel entre intentions et réalisations tiennent autant à l’insuffisance de l’aide qu’aux lacunes de la régulation mondiale.

La nécessité de protéger les biens publics mondiaux conduit à poser la question d’une régulation mondiale. Les économistes appellent biens publics les biens et services disponibles pour tous les membres d’un groupe. Les biens publics ne peuvent faire l’objet d’une facturation individuelle et justifient de ce fait le recours aux financements publics. l’accès aux biens publics se trouve Aujourd’hui menacé par une logique de marchandisation qui conduirait à introduire, dans des circuits commerciaux mondiaux, des biens non échangeables tels que l’éducation, la santé et la culture.

Le pendant de l’apparition d’un marché mondial a été l’affaiblissement des sources de réglementation nationale. La sauvegarde des biens publics mondiaux implique maintenant l’élaboration de normes mondiales et la mise en place d’un système pour s’assurer qu’elles sont effectivement respectées. l’élaboration de normes débouche sur la question de la hiérarchisation de celles-ci, reflet de la hiérarchie des préférences collectives (environnement, normes sociales, concurrence, sécurité alimentaire…). La difficulté de l’exercice tient au fait que celles-ci sont hétérogènes et donc, a priori, conflictuelles. La hiérarchisation des normes est le problème fondamental de la gouvernance mondiale. Lorsqu’une norme commerciale s’oppose à une norme environnementale, quelle est celle qui doit prévaloir ?

Il existe désormais, dans un domaine certes limité, celui du commerce, un précédent intéressant, l’organisme de règlement des différends (ORD) mis en place à l’OMC par les accords de Marrakech. l’ORD de l’OMC dit le droit et légalise l’usage de sanctions commerciales, alors que l’ORD du GATT (l’organisme ayant précédé l’OMC) voyait ses sanctions soumises à la validation politique des Etats membres. l’OMC est la seule institution à avoir intégré une fonction juridictionnelle par principe indépendante et impartiale et dont les décisions ont force exécutoire.

Régulation économique et régulation monétaire ne sont ni inexistantes, ni inopérantes dans le monde d’Aujourd’hui. Mais elles ont été conçues et s’exercent de manière trop autonome, et ont du mal à s’insérer dans une logique d’ensemble plus vaste dont la priorité serait d’assurer le développement durable à l’échelle de la planète. Le Fonds Monétaire International a souvent fait passer des critères financiers favorables aux créanciers en quête de garanties de remboursement et de libertés de transfert, avant les critères économiques et sociaux. La gouvernance économique mondiale souffre du manque de coordination entre agences de l’ONU et du formalisme du G-8. Devenu un organe bureaucratique, le Conseil économique et social (ECOSOC) n’a jamais assumé son rôle de coordination centrale et d’impulsion de l’action économique de l’ONU. Dans ces conditions les agences à vocation économique, financière ou monétaire se sont développées de manière autonome, sans la cohérence qu’aurait imprimée une vue d’ensemble de leurs activités.

Il manque, dans le dispositif actuel des Nations unies un organe dont la mission serait d’assurer le développement durable, défini par le rapport Brundtland de 1987 comme un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Il pourrait s’appeler le Conseil de sécurité économique : il serait le garant de la sécurité collective économique et la clef de voûte d’un système mondial de régulation économique. Il assumerait la responsabilité d’une règle du jeu collective chaque fois qu’un intérêt économique général, à l’échelle de la planète, aura été identifié. Il travaillerait à la cohérence de l’action des institutions internationales. Il serait appelé à rendre des arbitrages entre efficacité et équité, entre court terme et long terme, entre environnement et croissance. Le Conseil de sécurité économique pourrait remplir une mission de surveillance. Il pourrait par exemple être habilité à lancer des avertissements lorsque tel ou tel acteur s’écarterait trop de l’application des normes agréées. Pour asseoir d’emblée l’autorité de cette nouvelle enceinte, il faudrait obtenir de la réunir au plus haut niveau, celui des chefs d’Etat et de gouvernement, une ou deux fois par an.

Sur les grandes questions de nature économique qui peuvent représenter une menace pour la paix, il faut associer, dans le Conseil de Sécurité Économique, aux grandes puissances industrialisées (le G7 et la Russie), les grandes nations émergentes (Chine, Inde, Brésil, …) et les organisations régionales. Le monde entier doit être représenté, sous une forme ou sous une autre. Les présidents des organisations régionales siègeraient donc aux côtés des chefs d’Etat et de gouvernement. l’Union Européenne pourrait se montrer plus disposée à parler d’une seule voix que sur des sujets purement politiques. En même temps, le nombre de membres du nouveau Conseil doit rester limité si l’on veut lui donner un caractère opérationnel et éviter les pièges de la bureaucratisation. Ainsi composé, le Conseil de Sécurité Économique devrait démarrer d’une manière pragmatique. Il ne prendrait son essor que progressivement, en se confrontant aux problèmes de la mondialisation, et en tirant des leçons de son expérience (« learning by doing »). Le nouveau Conseil ne serait pas, dans un premier temps, un organe de décision, mais une enceinte d’étude, de consultation, de discussion et de proposition. Son secrétariat serait assuré par l’ONU.

Les institutions spécialisées, à commencer par le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’OIT (Organisation Internationale du Travail) …, travailleraient avec le Conseil de sécurité économique, en lui fournissant analyses, évaluations et études prospectives.

L’idée d’un Conseil de sécurité économique est déjà ancienne, puisque je l’ai avancée, pour la première fois, en 1993. Les Etats-Unis de Franklin D. Roosevelt avaient lancé à Dumbarton Oaks le projet de création des Nations unies. Une refondation est Aujourd’hui nécessaire, mais les Etats-Unis ne sont pas en mesure d’en prendre l’initiative. l’Union Européenne se saisira-t-elle de l’idée pour nourrir sa contribution à la réforme progressive des organisations internationales ?