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Souveraineté, vous avez dit souveraineté?

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de Cordoue, B. « Souveraineté, vous avez dit souveraineté? », Blogpost, Institut Jacques Delors, décembre 2024


Il est des mots qui portent une politique. La souveraineté est de ceux-là. Employé aujourd’hui dans de nombreux domaines comme la technologie, l’énergie, la santé ou l’alimentation, c’est évidemment lorsqu’on aborde la politique de défense qu’il prend toute sa dimension, celle d’un pouvoir exercé par l’État pour le contrôle de son territoire et la sécurité de ses citoyens. Au concept de souveraineté, on associe logiquement ceux d’indépendance ou d’autonomie, c’est à dire l’accès à la maîtrise des outils permettant d’assurer sa défense sans être tributaire d’un tiers.

On observe de façon significative que ces concepts, s’ils renvoient en premier lieu aux États-nations, ont désormais pignon sur rue à Bruxelles où, après avoir entériné le principe, moins radical, d’autonomie stratégique de l’UE, il n’est plus incongru de parler de souveraineté européenne. Le tabou avait été d’ailleurs levé dès avant 2020 dans 3 discours marquants, celui de Macron à la Sorbonne (2017), celui de Juncker sur l’État de l’Union (2018) et celui de Draghi à l’Université de Bologne (2019) : tous trois défendaient une reconquête par les États de leur souveraineté grâce à l’UE.

Ce basculement sémantique soulève naturellement de solides débats juridiques dans lesquels nous n’entrerons pas. Constatons simplement que l’argument de la souveraineté est désormais utilisé pour proposer et mettre en oeuvre des politiques communautaires dans des secteurs sensibles. Ce fut évidemment le cas pour l’achat groupé des vaccins pendant la crise du covid. Ces politiques menées au nom d’une souveraineté européenne sont au demeurant présentées a contrario comme les révélateurs de cette dernière.

Repris dans plusieurs documents officiels de l’Union européenne ou dans le récent rapport Draghi, le terme figure même dans l’intitulé d’un des vice-présidents de la nouvelle Commission Européenne (Hanna Virkkunen, en charge de « la souveraineté technologique, la sécurité et la démocratie »). À Paris, c’est une idée qui prospère, avec l’appel répété, mais ambigu…, de certains en faveur d’une souveraineté française ET européenne.

Rapportée à la politique de défense, cette question soulève celle de la réalité des dépendances, avouées ou pas, qui conditionnent les capacités militaires de chacun : Interrogé récemment à l’Assemblée nationale, le Chef d’état-major des Armées français, déclarait ainsi, pour justifier l’achat par la France de fusils HK416 allemands, « ne pas prendre de risque majeur en s’écartant sur ce point d’une souveraineté stricte ». On se souvient aussi du Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale qui, en 2008, introduisait, avec ses trois cercles de politique industrielle, l’idée de « dépendances mutuelles acceptées ».

Deux développements récents donnent à cette problématique de souveraineté européenne un relief particulier s’agissant de la politique industrielle de défense :

  1. Consacré à la compétitivité européenne, le rapport Draghi, qui concentre une partie de ses recommandations sur l’innovation technologique, établit un lien structurel avec l’investissement dans la défense: au-delà de ses raisons géopolitiques, celui-ci est aussi appréhendé comme une condition pour préserver les chaînes de valeur et l’accès aux technologies de pointe (à l’image de la politique américaine utilisant à dessein, à travers la DARPA, la recherche militaire comme vecteur d’innovation). Affichant clairement un objectif de souveraineté technologique, le plan d’action proposé par Draghi met l’accent sur ce rôle moteur de l’industrie de défense qui doit, en retour et pour sa survie, accepter davantage le jeu de l’intégration européenne. Le rapport Draghi met ainsi en exergue le lien consubstantiel entre compétitivité, innovation et technologies militaires : il souligne en définitive combien, s’agissant de ces dernières, la souveraineté ne peut plus être restreinte aux prérogatives nationales.
  2. La négociation qui se déroule actuellement à Bruxelles concernant le programme EDIP (European Defence Industry Program) proposé en mars dernier par la Commission et financé par l’UE à hauteur d’1,5 Milliards d’Euros, apporte également un éclairage intéressant. Le débat sur ce texte entre États membres et au Parlement Européen porte notamment sur le concept de préférence européenne: dans quelle mesure faut-il réserver ce financement à des entreprises ou des produits issus et contrôlés au sein de l’UE ? Traduite en termes concrets, cette question implique de définir précisément comment labelliser « UE » un matériel de défense. Les différents acteurs, y compris industriels, ont dû admettre que le 100% UE était une fiction et qu’il convenait d’accepter un certain degré de contenu non-UE pour rendre des produits éligibles à EDIP (la discussion se déplaçant alors pour savoir quel serait le seuil maximal acceptable). Un peu technique, ce débat révèle, s’il en était besoin, la dépendance, même limitée, des entreprises européennes vis-à-vis de fournisseurs tiers pour produire les matériels qui leur sont commandés.

L’objectivité impose par conséquent de considérer de manière nuancée la notion de souveraineté lorsqu’on l’applique au domaine très sensible de l’industrie de défense : il n’existe pas dans ce domaine de souveraineté absolue, qu’elle soit nationale ou européenne. Et, en même temps, la part de dépendance extérieure est évidemment moindre lorsqu’on se place au niveau européen plutôt que national. Ce constat conduit à conclure qu’une politique industrielle de l’armement plus vigoureuse au niveau de l’UE permettrait aux États membres de recouvrer dans ce domaine la souveraineté qu’ils ne sont pas en mesure de préserver en restant isolés. Cela suppose naturellement que les budgets européens consacrés à la défense soient exclusivement investis dans les entreprises et les programmes relevant de l’UE, selon un principe clair de préférence européenne. Et la France mettrait ainsi en pratique de manière plus lisible et avérée la politique des 3 cercles théorisée dans son Livre Blanc de 2008…

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