Blog post 201009

Abolition de la peine de mort : une exception européenne à promouvoir

Par Benjamin Couteau, Assistant de recherche à l’Institut Jacques Delors

« Dans la majorité écrasante des démocraties occidentales, en Europe particulièrement, dans tous les pays où la liberté est inscrite dans les institutions et respectée dans la pratique, la peine de mort a disparu. »[1]

Alors que nous nous apprêtons à célébrer la Journée mondiale contre la peine de mort le 10 octobre prochain, cette phrase prononcée par Robert Badinter lors du vote de l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances en France reflète l’exception européenne sur ce sujet. En effet, l’Europe est le seul continent à avoir totalement éradiqué la peine capitale, à l’exception notoire de la Biélorussie.

17 ans après l’instauration de cette Journée mondiale à l’initiative du collectif Coalition mondiale contre la peine de mort, force est de constater que son objectif reste plus que jamais d’actualité, puisque 56 États prévoient encore cette peine dans leur législation. D’après les chiffres d’Amnesty International, 657 exécutions ont par ailleurs été recensées en 2019 à travers le monde (hors Chine), dont près de 90% au Proche-Orient (Iran, Arabie Saoudite, Irak, Égypte)[2].

Un acquis européen à protéger

L’interdiction pour une juridiction nationale de condamner un accusé à la peine de mort est un principe consacré à la fois par le Conseil de l’Europe et par l’Union européenne. Ainsi, sous l’influence des protocoles n°6 et n°13 à la Convention européenne des droits de l’Homme, modifiant l’article 2 de celle-ci, tous les États membres du Conseil de l’Europe ont aboli en pratique la peine de mort. La Russie y fait figure d’exception, en ce que, si sa Cour constitutionnelle a interdit l’application de la peine de mort sur le territoire de la Fédération et si aucune exécution n’a été rapportée depuis 1999, elle n’a néanmoins toujours pas consacré son abolition dans la loi.

L’Union européenne, dont tous les États membres sont parties à la Convention européenne des droits de l’Homme, en a également fait la condition sine qua non de l’adhésion via l’octroi d’une valeur juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux par le Traité de Lisbonne, charte dont l’article 2 interdit tout recours à la peine de mort. Ainsi, lorsque le président turc Recep Tayyip Erdoğan appelle au rétablissement de la peine de mort dans son pays — alors même qu’elle avait été abolie par son propre gouvernement en 2004 en vue d’adhérer à l’Union européenne —, il place directement la Turquie sous le coup d’un arrêt immédiat des négociations d’adhésion.

Si le principe juridique d’une abolition en toutes circonstances est donc bien consacré dans les textes européens et dans toutes les législations nationales des États membres de l’Union européenne, il est loin de faire l’unanimité au sein de l’opinion publique.

En France, le soutien au rétablissement de la peine de mort est reparti à la hausse à la suite des attentats de 2015 : plus d’1 Français sur 2 s’y déclare aujourd’hui favorable[3], un chiffre historiquement haut. Ce soutien est supérieur à celui observé aux États-Unis[4], qui font pourtant figure de farouches défenseurs de la peine capitale, ayant procédé à 22 exécutions en 2019. Il coïncide par ailleurs avec celui enregistré au Royaume-Uni, où 56% des personnes interrogées ont répondu soutenir la condamnation à la peine de mort d’un meurtrier[5]. En Hongrie, ce taux de soutien est monté jusqu’à 76%, confortant ainsi la position du Premier ministre Viktor Orbán dans ses déclarations suggérant de rétablir la peine de mort pour assurer la sécurité de ses concitoyens[6].

À l’inverse, seul 1 Espagnol sur 5 affirmait approuver la peine de mort en 2012, un chiffre qui triple lorsque l’on regarde l’opinion des jeunes de 15 à 24 ans[7], confirmant ainsi une tendance observée en France pour cette tranche d’âge. Le soutien à la peine de mort est plus faible en Italie également, où 36% des personnes interrogées déclarent soutenir l’application de cette peine[8].

Afin de protéger cet acquis commun, l’Union européenne doit continuer de financer les projets de sensibilisation de la population menés par la société civile, comme elle le fait déjà pour l’association française Ensemble contre la peine de mort, membre du collectif Coalition mondiale contre la peine de mort. La perception qu’ont les européens de l’administration de la justice au sein de leur État joue également un rôle déterminant dans le positionnement vis-à-vis de la peine de mort. Plus la confiance des citoyens envers leurs juges et les peines qu’ils appliquent est érodée et plus le recours à la peine de mort leur apparaît être la condamnation idoine aux crimes les plus atroces. L’Union européenne doit donc encourager les actions menées par les États membres dans le sens d’un rétablissement de la confiance dans les institutions judiciaires nationales, comme elle a commencé à le faire dans son premier rapport sur l’État de droit sorti en septembre 2020[9].

En-dehors de notre continent, la peine de mort est encore pratiquée dans un certain nombre d’États, et au sein même de certaines nations démocratiques, comme aux États-Unis, en Inde ou au Japon. Ainsi, il revient au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) d’intensifier encore sa diplomatie de l’abolition afin de parvenir à un rejet le plus large possible de la peine de mort.

Une diplomatie de l’abolition à intensifier

Dans les démocraties indienne et japonaise, le débat sur l’abolition de la peine de mort n’est pas à l’ordre du jour, les deux États asiatiques procédant régulièrement à des exécutions. L’Inde a même récemment étendu la possibilité légale de recourir à la peine capitale en matière de violences sexuelles et a condamné 162 personnes à mort en 2018 — un record en près de 20 ans —, tandis que le Japon a, pour sa part, affirmé à maintes reprises devant l’insistance de l’Organisation des Nations Unies (ONU) son refus catégorique d’abolir la peine de mort.

Au niveau mondial, la République populaire de Chine reste le pays exécutant le plus grand nombre de condamnés. Si le nombre d’exécutions est inconnu en raison du caractère secret des statistiques officielles du régime, il se chiffrerait toutefois en milliers chaque année.

La détermination de quelques États ne doit néanmoins pas occulter le recul général de l’application de la peine de mort dans le monde. Des avancées significatives ont en effet été réalisées ces dernières années, et l’année 2019 enregistre le plus faible taux d’exécutions depuis 10 ans, des exécutions qui ont eu lieu dans seulement 20 pays sur les 193 membres que compte l’ONU.

Dans cette situation de régression globale de la peine de mort, la posture unique de l’Union européenne et son poids diplomatique lui donnent les moyens de jouer un rôle moteur pour faire progresser davantage la cause abolitionniste. C’est ainsi qu’elle en a fait l’une des priorités du SEAE en matière de droits de l’Homme.

Le Conseil de l’Union européenne a adopté dès 1998 les orientations de l’Union européenne concernant la peine de mort, ses toutes premières orientations en matière de droits de l’Homme, rappelant son opposition indéfectible à la peine de mort en toutes circonstances. À partir de ces orientations, l’Union européenne n’a cessé d’agir :

  • en soutenant d’abord, en tant qu’observatrice permanente, toutes les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies visant l’abolition de la peine de mort;
  • en menant de larges campagnes de subvention des organisations de la société civile luttant pour l’abolition à travers le monde;
  • en adoptant des résolutions[10] et en organisant des débats au sein du Parlement européen afin de condamner les actions des pays non abolitionnistes.

La politique commerciale a également été mise à profit pour soutenir cette cause. Un règlement du Parlement et du Conseil de 2016 est ainsi venu acter l’interdiction du commerce de certains biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette mesure a permis d’entraver l’exécution des condamnations à la peine capitale aux États-Unis en causant une véritable pénurie des produits nécessaires aux injections létales jusqu’à aujourd’hui[11].

Cette diplomatie active porte donc ses fruits et une extension de sa portée constituerait un réel soutien pour ceux qui portent la cause de l’abolitionnisme. Il en serait en particulier ainsi s’agissant du dernier pays européen à pratiquer la peine de mort : la Biélorussie. Si le nombre d’exécutions s’y est fortement réduit depuis le début des années 2000, ce sont encore entre 2 et 5 personnes qui sont exécutées chaque année[12].

Dans la période de vives tensions que connaît actuellement cet État, la voix de l’Union européenne doit s’y faire entendre afin qu’il prenne le chemin de la démocratie, du respect de l’État de droit et des droits de l’Homme, chemin qui impliquerait nécessairement une abolition de la peine de mort. L’Union européenne, qui a déjà ouvert le dialogue en ce sens — en coopération avec le Conseil de l’Europe — en appelant la Biélorussie à rejoindre le camp abolitionniste, a les moyens de son leadership et doit donc intensifier son action extérieure pour l’abolition mondiale de la peine de mort.

[1] Discours de Robert Badinter, ministre de la justice, sur l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale le 17 septembre 1981.

[2] « Peine de mort en Europe et dans le monde : faits essentiels », site internet du Parlement européen.

[3] « Fractures françaises : Vague 8 – Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, l’Institut Montaigne et le CEVIPOF », 14 septembre 2020.

[4] J. Baxter OLIPHANT, « Public support for the death penalty ticks up », Pew Research Center, 11 juin 2018.

[5] Death Penalty, Gallup, étude menée du 1er au 13 octobre 2019.

[6] Balázs Pivarnyik, « More Hungarians support death penalty than 10 years ago », The Budapest Beacon, 30 octobre 2017.

[7] « El 56,5% de los jóvenes españoles admiten la pena de muerte para delitos muy graves », elDiario.es, 2 septembre 2014.

[8] « Pena di morte in Italia il consenso sale al 36% », Il Gazzettino, 13 mars 2019.

[9] « Rapport sur l’État de droit 2020, La situation de l’État de droit dans l’Union européenne », Communication de la Commission européenne, Bruxelles, 30 septembre 2020, COM(2020) 580 final.

[10] Dans la résolution du Parlement européen du 8 octobre 2015 sur la peine de mort (2015/2879(RSP)), est ainsi condamné (point 9) « le recours à la peine de mort comme moyen de supprimer l’opposition ou pour des motifs tels que les croyances religieuses, l’homosexualité ou l’adultère ».

[11] Sofia Sanchez MANZANARO & Lucía Riera BOSQUED, « US government plans to use drug for execution that Europe banned exporting to them », Euronews, 29 juillet 2019.

[12] « Death penalty in Belarus in facts and numbers », Belarusian Helsinki Committee.

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